samedi 28 avril 2012

Campagne politique dans la Rome Antique.

Graffiti électoral - Pompéi.

                                        La semaine dernière se tenait le premier tour de l'élection présidentielle française. Les citoyens de notre beau pays ont tranché : Dimanche 6 Mai, leur vote devra départager messieurs Hollande et Sarkozy - ce qui nous laisse encore quelques joyeuses journées de campagne électorale. A l'occasion de cette élection, j'avais rédigé un article sur le cursus honorum, succession des magistratures que se devaient d'accomplir les citoyens romains issus de la classe des nobiles, et j'avais souligné que, les mandats étant attribués pour une durée d'un an, les campagnes électorales étaient quasi permanentes dans la Rome Antique. C'est ce qui m'a donné l'idée d'un billet traitant de la scène politique romaine, qui présente en plus l'avantage d'être parfaitement en phase avec l'actualité.
   
                                        Aux origines de Rome, le pouvoir est aux mains d'un petit nombre de familles nobles. Plus tard, sous la République et, dans une moindre mesure, l'Empire, la scène politique romaine est dominée par la classe sénatoriale, qui se divise en deux "partis" : les populares (que nous assimilerions aujourd'hui à la gauche) et les optimates (vous avez deviné : ce serait la droite). Et donc, tous les ans, les mandats arrivent à terme, et il faut bien élire de nouveaux magistrats - d'où des campagnes incessantes. A noter que le candidat à une charge porte une toge blanchie à la craie - le terme candidatus renvoyant précisément à la couleur du vêtement.

                                        Pour faire campagne et espérer accéder à ces postes, mieux vaut être riche. Certes, une carrière de préteur, par exemple, pourra s'avérer très intéressante sur le plan financier... mais seulement une fois la charge accomplie, puisque les magistrats ne sont pas rétribués. Heureusement qu'en tant que propréteur, ils pourront ensuite se renflouer sur le dos de la province dont ils auront la charge - les plus lucratives étant évidemment les plus convoitées. (Demandez à Verrès, connu pour avoir pillé la Grèce et la Sicile : les Siciliens l'ont traîné en justice en 70 avant J.C., et ont choisi rien moins que Cicéron comme avocat.) Or, la campagne en elle-même demande à elle seule un investissement parfois colossal : le candidat offre des distributions de blé, des jeux, des combats de gladiateurs, parfois de gigantesques banquets publics, fait ériger des monuments... Tout cela, parfois à la limite de la légalité. Mais ce ne sont pas les scrupules qui étouffent nos prétendants à la magistrature : la corruption est - c'est le cas de le dire ! - monnaie courante, et il n'est pas rare d'y aller carrément, et d'acheter les voix. (Bah, tant qu'à faire...) Au final, tout cela coûte une véritable petite fortune. Prenons l'exemple de Jules César, élu grand pontife en 63 avant J.C. : pour y parvenir, il se serait endetté de 50 millions de sesterces ! Même si vous n'avez qu'une vague idée de ce que pouvait représenter un sesterce, vous vous doutez bien que ce n'est pas le genre de somme qu'on trouvait en renversant une charrette...

                                         Le candidat peut également compter sur les alliances familiales, informelles ou scellées par un mariage (Jules César, encore lui, marie sa fille Julie à Pompée). Ainsi, si les femmes sont exclues de la vie politique, certaines, issues des grandes familles dont nous avons parlées, exercent une profonde influence en coulisses - par leur fortune ou par le jeu des alliances. Et puis, il y a les clients : je développerai cette notion une autre fois mais, pour l'instant, je résume vaguement l'idée générale. Un aristocrate a toute une série de protégés - affranchis, commerçants, etc. issus de la plèbe. Il leur doit assistance et leur offre une somme d'argent modique, en échange de toute une série d'obligations, parmi lesquelles, celle de faire campagne et de voter pour lui. Des militants, si vous préférez...

                                         Autre stratégie possible : l'intimidation. On provoque des émeutes (voir l'épisode des Gracques), ou bien on engage des bandits ou des gladiateurs pour jouer les gros bras (Catilina). A moins, bien sûr, qu'on soit général : dans ce cas, les légions que l'on dirige ont un pouvoir de persuasion assez étonnant... C'est le cas d'Octave, si l'on en croit Dion Cassius. Après l'assassinat de Jules César, il lève une armée à ses frais, et défait Antoine à Modène. Puis, il envoie 400 de ses soldats comme ambassadeurs au Sénat, afin de demander que lui soit accordé le consulat. Les sénateurs rechignent ; l'un des légionnaires  porte alors la main à son épée en disant : « si vous ne donnez pas le consulat à César, celle-ci le lui donnera ! » Octave marche alors sur Rome avec toute son armée : il obtient gain de cause... (Tu m'étonnes ! 33 avant J.C. )

Auguste - anciennement Octave : un mec vachement persuasif...


                                         Pour ce qui est du vote en lui-même, au cas où vous vous poseriez la question, voilà comment il se déroulait :  les électeurs (les citoyens romains mâles, rassemblés en centuries ou tribus) se réunissaient dans un vaste espace (généralement sur le Champ de Mars, ultérieurement dans la Basilique Julia, construite par Jules César à ce même endroit) et s'avançaient en file indienne. Chacun tenait à la main une tablette de cire, sur laquelle il inscrivait son vote : V (vti rogas - “comme tu le proposes” pour approuver une loi), A (antiquo - “je vote contre" pour s'y opposer), ou bien le nom du candidat. Il glissait ensuite la tablette dans une urne, appelée cista.


En guise de conclusion, je signale que les éditions Les Belles Lettres ont eu l'excellente idée de sortir il y a quelques mois un petit ouvrage édifiant : "Lettre à mon frère pour réussir en politique" (2euros80 - voir ici.) - dont l'auteur, Quintus Cicero, n'est autre que le frère de l'autre Cicéron ! Quelle meilleure manière d'achever cet article qu'en vous citant quelques unes des recommandations qu'il adresse au célèbre orateur, alors que celui-ci brigue le consulat ?!

"Quand on fait une promesse, le risque est incertain, éloigné dans le temps, et ne concerne que peu de cas. Mais en refusant, on est sûr de se faire beaucoup d'ennemis."

"La flatterie s'impose : elle a beau être mauvaise et avilissante tout autre moment de la vie, elle n'en est pas moins, quand on est candidat, une nécessité."

"Assure toi que ta campagne soit magnifique, brillante, éclatante, populaire, qu'elle ait une dignité exemplaire et que pèsent sur tes concurrents - s’il est possible de trouver quelque chose - des soupçons de crime, de débauche ou de corruption, en accord avec leur caractère."

Je rappelle que ces lignes ont été écrites il y a 2000 ans. De quoi laisser songeur, non ?!

                                        Un dernier lien, enfin, pour amuser mes lecteurs anglophones : les conseils de Quintus Cicero, transposés à l'élection présidentielle américaine de 2012  : voici le lien.



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