mardi 29 mai 2012

Les Romaines et la coiffure.

Agrippine l'ancienne.

La semaine dernière, je suis allée chez le coiffeur et je me suis fait couper les cheveux. Et là, vous êtes certainement en train de vous demander : "Quel est le rapport avec l'antiquité romaine ?!!" Euh, y en pas ! Si ce n'est que, tandis que les mèches coupées tombaient allègrement à mes pieds, je me suis posé une question capitale : quid de la mode capillaire chez les Romaines ? Tous, nous avons eu l'occasion de voir des photos ou d'admirer dans des musées des statues représentant des femmes, mais il faut bien avouer que l'on ne prête pas forcément une attention démesurée à leurs coiffures. On a bien tort : dans ce domaine, les Romaines ont une imagination fantastique ! Et les styles de coiffure ont beaucoup évolué au fil des époques.







                                        Ovide écrit sous le règne d'Auguste, qui prônait l'austérité et n'avait pas une réputation de bout-en-train. Pourtant, écoutons-le ("L'Art d'Aimer", III - v. 149 à 152) :
 "On ne dénombrera pas plus les glands d'un chêne touffu (...) que je ne puis fixer le nombre de styles de coiffure. chaque jour crée un arrangement nouveau."
                                        D'où l'on peut déduire que, chez les Romaines, on fait ce qu'on veut avec ses cheveux ! (Slogan bien connu...) Deux exceptions : les jeunes filles, qui se contentent de rassembler leurs cheveux en chignon et les bacchantes (prêtresses de Bacchus), qui les portent détachés.


Antonia Minor, fille de Marc Antoine et Octavie.

                                        Sous la République, les coiffures des Romaines restent simples, et finalement assez proches de celles de leurs sœurs grecques : les cheveux sont séparés par une raie au milieu, et attachés sur la nuque par un nœud. Cependant, au début de l'Empire - c'est-à-dire à l'époque où écrit Ovide - la coiffure devient un véritable marqueur social : les romaines peuvent se rendre dans la boutique du tonsor, les plus riches achètent des esclaves chargées de les coiffer (ornatrix). Et apparemment, c'est loin d'être une sinécure ! Passons la parole à Martial, poète satirique du Ier siècle ("Épigrammes", II - 66.) :
"Une seule boucle détonnait dans la tour de ses cheveux, une seule boucle, mal fixée par une épingle peu sûre : ce crime, Lalagè l’a châtié avec le miroir qui le lui avait fait voir
Et Plecusa (N.B. : l'ornatrix) est tombée, immolée à cette cruelle coiffure !"
On en revient à Julie, la fille d'Auguste, frappant son ornatrix parce qu'elle lui avait tiré les cheveux... (voir l'article sur les esclaves - lien.)

Buste de Livie, épouse d'Auguste.
A cette époque, la mode est aux tresses, mais la morphologie du visage impose de subtiles variations. Décidément, Ovide s'intéresse à la question puisqu'il explique par exemple qu'un visage allongé appelle une raie au milieu, avec les cheveux encadrant les joues, tandis qu'on préfèrera un chignon au sommet de la tête qui découvre les oreilles si l'on a un visage rond.

La coiffure des mariées gardera longtemps la trace de cette mode. Le jour de la cérémonie, la fiancée est coiffée selon un rite particulier : ses cheveux sont partagés en six tresses à l'aide de la pointe d'une épée, et sont ensuite fixés autour de la tête avec des bandelettes de laine et des épingles. Le tout est surmonté d’une couronne de fleurs, avant que la tête de la jeune femme ne soit recouverte d'un voile jaune, le flammeum.

                         

Plus tard, l'Empire évoluant vers toujours plus de luxe et de sophistication, la coiffure ne fait pas exception : comme aux plus belles heures du XVIIIème siècle de Marie-Antoinette, les Romaines adoptent des coiffures toujours plus complexes, au point que Juvénal en parle comme de véritables œuvres d'architecture ("Satires", VI) :
"Que d'étages superposés, quelles structures dans cet édifice dont elle charge et surélève sa tête ! Vue de face, on la prendrait pour une Andromaque. Vue de dos, elle rapetisse : ce n'est plus la même femme."

Julia, fille de Titus.

Sous les Flaviens, on aime les frisottis et les grosses boucles, rassemblées sur le haut de la tête, tandis que le reste des cheveux est noué en chignon sur la nuque. Julia, la fille de l'empereur Titus (79 - 81 après J.-C.), lance la tendance avec sa célèbre coiffure "en diadème",  constituée de superpositions de boucles. Les coiffures à trois étages font fureur, mais elles sont trop complexes à réaliser : les boucles sont remplacées par des tresses.







Plotine, épouse de Trajan.
Sous le règne des Antonins, les femmes mûres préfèrent les nattes ondulées, qui contournent la nuque pour revenir sur le front. Avec les Sévères, on assiste au come-back des bouclettes, mais cette fois-ci dirigées à l'horizontale. Finalement, dans la seconde moitié du IIe siècle, les femmes reviennent aux nattes, qui se rejoignent en un ample chignon tressé, souvent ramené en cimier sur le sommet de la tête.







Buste de femme, sous la dynastie des Sévères.

 Autre parallèle avec la grande époque capillaire de Marie-Antoinette : les Romaines apprécient les perruques (galerus). Objets de luxe admirés, elles sont importées dans tout l'Empire, confectionnées avec les cheveux blonds ou roux des germains ou des barbares du Nord, ou les cheveux noirs venus des Indes. Les teintures sont courantes : on utilise par exemple un mélange de henné et d'herbes pour obtenir du rouge ou des fleurs de safran pour le blond. Le noir et le gris cendré sont également prisés. Les colorations jaunes et bleues, quant à elles, sont réservées aux courtisanes. Pline l'Ancien nous donne quelques recettes dans son "Histoire Naturelle" (XXX, 124) :
"La lysimaque blondit les cheveux, le millepertuis, encore appelé corissum, les teint en noir, de même que la plante nommée ophrys, qui ressemble au chou dentelé, et qui n'a que deux feuilles. La polémonia cuite dans l'huile les teint aussi en noir. "
Ou celle-ci, plus, euh, étonnante pour colorer les cheveux en noir - et que je vous laisse essayer ("Histoire Naturelle" - XXIII, 7) :
"On noircit les cheveux avec des sangsues qu'on a laissées se putréfier 60 jours dans deux setiers de vin noir. D'autres recommandent, à cet effet, de mettre un setier de sangsues et deux setiers de vinaigre dans un vase de plomb, de laisser ce mélange se putréfier pendant 60 jours, et de s'en frotter les cheveux au soleil."

                                           Pour friser les cheveux, on utilise une sorte de fer à friser (calamistrum), instrument constitué d'un tube cylindrique imbriqué dans un second tube, plus grand, que l'on chauffe dans les cendres.

Poppée, épouse de Néron.

                                           Les femmes ornent ces coiffures de diadèmes, de longues épingles, de peignes d'os ou d'écaille, de rubans, ou même de fioles contenant, au choix, du parfum ou du poison (tout dépend de l'objectif du rendez-vous prévu !) Sous le bas-empire, l'influence byzantine se fait sentir et les  accessoires tendance sont les bandeaux tressés de perles.

                                         Cette mode fluctuante exerce une influence directe sur l'art : pour suivre les dernières tendances, les sculpteurs inventent des perruques de marbre amovibles, travaillées indépendamment du reste de la statue, et qu'on peut changer au gré des innovations capillaires !

                                        Une dernière remarque : les Romaines ne sortaient jamais tête nue, mais portaient la palla, voile recouvrant les cheveux. Sans vouloir tomber dans la caricature, je suis prête à parier que bien des hommes concluraient par un "tout ça pour ça !" un brin moqueur ; mais les femmes, elles, auront bien compris ce qui motivaient nos sœurs antiques. Un jour, il faudra qu'on vous explique, messieurs...

                                        Pour finir, une petite vidéo pour les anglophones : une "coiffeuse archéologue" (je ne savais même pas que ça existait !) vous propose un tutoriel pour réaliser la coiffure d'Agrippine la Jeune. Jetez un œil à ses autres vidéos en cliquant sur le lien ici : sait-on jamais, ça pourrait vous donner des idées, pour votre prochaine visite chez le coiffeur !





Photos : Mary Harrsch.

6 commentaires:

Marine Lafontaine a dit…

Tu fais vraiment des articles sur tout ! Le pire ? c'est que c'est passionnant ! En tout cas, je me coucherai moins bête ^^

FL a dit…

Bah, c'est aussi le but du jeu ! Essayer de sortir des sentiers battus : coiffure, tatouages, bientôt apiculture... Après, les grands thèmes sont aussi passionnants à traiter, mais trouver un angle original et apporter un "plus" devient plus compliqué. Merci en tous cas pour tes compliments - même si je vais finir par avoir la grosse tête et ne plus passer les portes !

Anonyme a dit…

Super article !
Juste une question : Comment se coiffaient les femmes romaines qui allaient se marier ? Auriez-vous une image ?
Merci

FL a dit…

D'abord, merci pour le message :-) En ce qui concerne la coiffure des futures mariées romaines, c'est tout un rituel que j'ai brièvement évoqué dans un autre post. Vous pouvez taper "mariage" dans le moteur de recherche en haut, mais je m'auto-cite :

"La jeune mariée est coiffée selon un rite particulier : avec la pointe d’une épée, ses cheveux sont partagés en six tresses, qui sont ramenées autour de la tête et maintenues par des bandelettes de laine - à la manière des Vestales."

Il faut que je cherche si je vous trouve une image. Si j'en déniche une, j'ajouterai le lien - si quelqu'un d'autre a une illustration à suggérer, n'hésitez pas à me contacter ici même.

Anonyme a dit…

bon article!
mais dommage que les sculptures ne soient pas datées...

FL a dit…

Je note :-) J'y penserai pour la prochaine fois. En attendant mieux, je pense qu'on doit pouvoir trouver une datation assez proche puisque en général, l'identité des modèles est indiquée. On va dire que c'est déjà ça !