dimanche 2 septembre 2012

Carthago Delenda Est ! Les Guerres Puniques.






Buste de Caton l'Ancien.
Caton l'Ancien n'était pas un rigolo. En fait, c'était l'archétype du vieux bougon, du rabat-joie qui vous casse les oreilles avec les mœurs de ses ancêtres, du psychorigide défenseur de la rigueur morale qui ne cesse de déplorer la déchéance de la société et vous assène au moins un "de mon temps..." par paragraphe. Pour souligner, bien entendu, que les choses se passaient nettement mieux de son temps et que, vraiment, tout fout l' camp, ma bonne dame. Je suis certaine que vous avez déjà croisé un Caton. Mais le nôtre appartient quand même à la catégorie des poids lourds : juste pour vous donner une idée, Virgile avait même fait de lui l'un des juges des Enfers dans l'Enéide... C'est tout dire ! Incarnation de l'austérité, Caton l'Ancien - aussi connu sous le nom de Caton le Censeur, ce qui lui va comme un gant - était réputé pour mépriser toutes les tentations, et se contentait d'un régime ascétique d'eau fraîche et de repas frugaux. Il fustigeait le luxe, la corruption sous toutes ses formes, et même l'art Grec, qu'il accusait de saper la grande tradition romaine de la simplicité rurale...


                                        Mais sa grande obsession - outre le dérèglement des mœurs romaines - c'était Carthage. Au point que, chantre d'une politique anti-carthaginoise systématique, il achevait chacune de ses interventions publiques par la phrase : "et ceterum censeo cartaginem esse delendam" - et en outre, je pense que Carthage doit être détruite. La sentence est passée à la postérité sous la forme "Carthago delenda est !" - il faut détruire Carthage. Alors, pourquoi Carthage ? Après tout, la Méditerranée ne manquait certainement pas de peuples "décadents" à exterminer. Et bien parce que Carthage, au II ème siècle avant J.C., c'était l'autre puissance, la seule capable de menacer l'hégémonie naissante de la république romaine.

Carthage. (Photo Flickr Nene9)

                                        A cette époque, Rome a achevé la conquête de l'Italie méridionale, et se heurte alors à Carthage, qui domine la Corse, la Sardaigne, la Sicile et la côte nord-africaine. Cité de marins et de marchands, comptoir de commerce situé en actuelle Tunisie, Carthage - qui aurait été créée par les phéniciens de Tyr en 814 avant J.C., bien qu'il semble en réalité que sa fondation coïncide avec celle de Rome - entend bien dominer le bassin méditerranéen. Son pouvoir est immense : rayonnant sur tout le pourtour méditerranéen, elle a ouvert des voies de navigation qui s'étendent jusqu'en Cornouailles. La montée en puissance de Rome ne cesse de préoccuper les Carthaginois. Et réciproquement...

Première guerre punique. (264-241 avant J.C.)


                                        C'est en Sicile qu'éclate le premier conflit. Vers 315 avant J.C., le tyran de Syracuse, Agathocle, engage des mercenaires originaires de Campanie afin de s'emparer de la riche cité de Messine. A sa mort en 289 avant J.C., les soldats italiens refusent de quitter la ville : ils s'en emparent, se rebaptisant les Mammertins - du nom de Mammers, Dieu local de la guerre. Attaqués par les Siciliens, ils en appellent d'abord à Carthage, puis à Rome. Les Romains hésitent, mais finissent par voler au secours des campaniens : pas question de laisser Carthage intervenir, et ainsi s'implanter durablement dans la partie orientale de l'île, qu'ils ne contrôlent pas encore ! Du reste, les Mammertins sont rapidement oubliés, et Rome décide de saisir sa chance face à Carthage : c'est le début de la première guerre punique en 264 avant J.C. (De Punicus - Carthaginois).

Soldats romains attaquant un navire carthaginois. (Source : www.mitchellteachers.org )

                                        Bien que la stratégie navale ne soit pas le point fort des Romains, ils parviennent à infliger une série de défaites à leurs ennemis, grâce à une nouvelle technique de combat qui pallie leur faiblesse : à l'aide de grappins et de passerelles d'abordage, les légionnaires passent sur les ponts des vaisseaux adverses. Dès lors, ils peuvent livrer combat comme sur la terre ferme. Mais lorsqu'ils font débarquer une immense armée en Afrique en 256 avant J.C., elle est battue à plates coutures par les Carthaginois. La guerre se poursuivra pendant 14 ans. Rome, qui n'a décidément pas le pied marin, perd plusieurs escadres dans les tempêtes et, en 249 avant J.C., une grande partie de sa flotte est détruite à Drepanum : les navires pénètrent dans un port déserté par l'ennemi et, les premiers vaisseaux, se rendant compte de la méprise, tentent d'en ressortir. Dans la confusion qui s'en suit, 93 des 120 bâtiments finissent par couler ! Hélas pour eux, les Carthaginois commettent alors l'erreur de démanteler leur propre flotte, persuadés que les nombreux revers subis par l'armée romaine ont eu raison de ses forces navales. Or, pendant ce temps, Rome a levé des fonds privés pour reconstruire des bâtiments. En 242 avant J.C., totalement pris au dépourvu, les Carthaginois rebâtissent des navires à la hâte mais la bataille qui s'engage en 241 avant J.C. au large de la Sicile s'achève sur une victoire écrasante des Romains. Les Carthaginois sont contraints d’abandonner la Sicile et de verser d'importants tributs à Rome. S'en suivent 23 années de paix... au cours desquelles les deux puissances s'observent en chiens de faïence, chacune fourbissant ses armes dans l'attente d'un nouveau conflit,  inévitable : il est clair qu'au-delà de la Sicile, c'est toute la domination de la Méditerranée qui est en jeu.

Deuxième guerre punique. (218-201 avant J.C.)


Hamilcar Barca.

                                        Il faut attendre 218 avant J.C. pour que débute le second acte : le général Hamilcar Barca, hostile envers Rome pour avoir combattu en Sicile lors de la première guerre punique, décide de compenser la perte de l'île en renforçant l'emprise de Carthage sur l'Espagne. Mais la cité punique se heurte alors à la cité de Sagonte, alliée de Rome. En 219 avant J.C., le successeur d'Hamilcar, son fils Hannibal, attaque Sagonte, qui tombe après un siège de 8 mois. Rome exige la capitulation d'Hannibal - qui refuse, faut quand même pas rêver ! La deuxième guerre punique vient de débuter.

Statue d'Hannibal. (Photo flickr JP Ellgen)


Hannibal traversant les Alpes. (Ill. Gottlob Heinrich Leutemann)
Rome prépare un débarquement en Espagne, comptant sur l'isolement des troupes carthaginoises, mais Hannibal décide d'attaquer le premier, et de porter la guerre sur le sol italien. Il prend de vitesse l'armée romaine, incapable d'empêcher sa progression et ses troupes, dotées de leurs célèbres éléphants (dont on estime que la plupart mourront en chemin, un ou deux pachydermes seulement survivant au voyage), traversent les Pyrénées et les Alpes, rejointes au fur et à mesure par des soldats gaulois, ravis à la perspective d'en découdre avec l'ennemi romain.

 Hannibal parvient à tromper les Romains en empruntant un col de montagne au lieu de la route principale, pour se diriger vers le sud de l'Italie. Une armée de 25000 hommes est dépêchée à sa poursuite mais, piégés dans un goulet, les soldats romains sont taillés en pièces sur les rives du Lac Trasimène. Plus de la moitié des effectifs romains y restent - y compris leur général, Caius Flaminius.





                                       Pourtant, la situation d'Hannibal semble compromise : il a contourné la capitale pour tenter de rallier à sa cause les cités latines, mais celles-ci sont restées fidèles à la République. Or, les Romains pêchent par orgueil, et se contentent de rassembler un contingent certes important, mais dirigés par deux consuls qui ignorent tout des tactiques d'Hannibal et sont, cerise sur le gâteau, incapable de maîtriser leurs hommes. Ils rejoignent pourtant l'ennemi à Cannes, en 216 avant J.C. : c'est un véritable massacre. L'armée romaine est anéantie, certaines estimations affirment que 70 000 soldats y laissent la vie. Les conséquences pour Rome sont terribles : un à un, ses alliés font défection, et les émeutes grondent en Sicile, en Espagne ou en Sardaigne. Pire : l'hécatombe cannoise a réveillé les ambitions de Capoue, qui passe à l'ennemi dans l'espoir de s'imposer en Italie. C'est là qu'Hannibal choisit d'installer ses troupes, qui se laissent peu à peu gagner par l'inaction aux faveurs des célèbres délices de Capoue. Quant à leur général, il échoue une nouvelle fois à unifier les cités contre Rome.


La tête d'Hasdrubal jetée dans le camp d'Hannibal. (Ill. Tancredi Scarpelli)

                                        Cet atermoiement profite au sénat romain, qui s'empresse de reprendre les choses en main : en attendant de pouvoir reformer une armée, Rome décide de changer de tactique et, au lieu de se lancer dans des batailles en ligne, entreprend de détruire les escadrons ennemis petit à petit, par la guérilla. Puis, en 212 avant J.C., Marcellus s'empare de Syracuse. Cette conquête marque le début du redressement romain : en 211 avant J.C., alors qu'Hannibal menace d'envahir Rome, les légions reprennent Capoue. Cependant le frère d'Hannibal, Hasdrubal, quitte alors l'Espagne à la tête d'une armée afin de venir en aide à ses compatriotes. Mais les Romains réunissent un immense contingent, dirigé par Caius Claudius Nero, pour empêcher la jonction, et écrasent les renforts sur les rives du Métaure (fleuve de la région des Marches), en 210 avant J.C. Comble d'humiliation, la cavalerie romaine va jusqu'à lancer la tête d'Hasdrubal dans le camp d'Hannibal - ce qui a dû lui faire un choc, d'autant plus qu'il ignorait qu'Hasdrubal était en Italie ! En mauvaise posture, Hannibal s'enfuit dans le Sud de l'Italie, où il parvient à se cacher...

Buste de Scipion l'Africain.
Pendant ce temps-là, les Romains ne chôment pas : ils se sont emparés de l'Espagne, et Publius Cornelius Scipio - plus connu sous le nom de Scipion l'Africain - en a définitivement chassé les Carthaginois en 206 avant J.C. Dès lors, Rome peut se tourner vers l'Afrique, et en finir définitivement avec ces fichus ennemis puniques. En 204 avant J.C., Scipion débarque sur le continent et attaque Carthage. Les habitants tentent tout d'abord de négocier la paix, mais le retour d'Hannibal sonne le glas des pourparlers. En 202 avant J.C., Hannibal et Scipion s'affrontent à Zama, et les Romains remportent la victoire.  Carthage est prise, son armée démantelée, sa flotte anéantie, ses territoires non-africains et ses alliés numides passent sous le contrôle de Rome. Quant à Hannibal, contraint à l'exil en 195 avant J.C., il se suicide 12 ans plus tard, lorsque le roi Prusas Ier de Bithynie, au service duquel il était entré, le trahit et s'apprête à le livrer aux Romains. Pour l'anecdote, Tite-Live rapporte que le général punique est mort la même année que son vieil ennemi, Scipion l'Africain...




La Bataille de Zama.


Troisième guerre punique. (149-146 avant J.C.)


                                        Les hostilités entre Carthage et un allié de Rome servent de prétexte à la troisième guerre punique : Massinissa, qui a été fait roi de Numidie par les Romains, profite de la vulnérabilité de Carthage pour lorgner sur ses territoires. La cité punique ne peut évidemment pas laisser faire, et elle riposte en 150 avant J.C. C'est exactement ce qu'espérait le roi numide, qui comptait sur la terreur obsessionnelle que Rome nourrit à l'encontre de Carthage pour l'impliquer dans le conflit. C'est à cette époque que notre ami Caton l'Ancien adopte son antienne, "Carthago delenda est !", à chaque fois qu'il prend la parole au Sénat. Vétéran de la deuxième guerre punique, alors âgé de 84 ans, Caton dénonce violemment la violation du traité conclu après la défaite de Zama, selon lequel les Carthaginois ne pouvaient se défendre sans l'aval de Rome. Ses adversaires lui rétorquent que Carthage ne représente plus aucun danger, mais Caton finit par avoir gain de cause - juste avant de mourir, dès le début de la guerre. Suivi de peu par Massinissa, instigateur du conflit.

                                        En 149 avant J.C., une armée romaine menée par le fils adoptif de Scipion l’Africain, Scipion Émilien, débarque à Carthage. Les habitants se rendent sans faire d'histoire, mais les Romains ont une autre idée en tête... Déterminés à anéantir la cité punique, ils ordonnent aux Carthaginois d'abandonner la ville pour se retirer à l'intérieur des terres. N'ayant, dès lors, plus rien à perdre, les Carthaginois reprennent les armes, prêts pour l'ultime affrontement : retranchés dans leur cité, ils résistent quelques temps mais, en 146 avant J.C., Scipion Émilien parvient à forcer les défenses extérieures. Carthage tombe, avant d'être entièrement rasée par les Romains qui, selon la légende, vont jusqu'à verser du sel sur les terres Carthaginoises afin de les rendre stériles et d'en faire un désert.

"Hé Papa, j'ai rejoint l'armée d'Hannibal..."



                                        J'ai peut-être été un peu dure avec ce brave Caton : a priori, le personnage n'a rien de sympathique. Pourtant, malgré les apparences, j'éprouve une certaine tendresse à son égard. Je reconnais qu'il y a quelque chose de monolithique chez cet homme, qui agace et force le respect en même temps. Et pourtant, en creusant un peu, ce vieux grincheux a quand même beaucoup d'humour... Ne disait-il pas, par exemple, que "deux augures ne peuvent pas se regarder en face sans éclater de rire" ? Ou encore, cette anecdote, rapportée par Plutarque, et que j'adore : "Ma femme, dit-il alors, ne m'a jamais embrassé que lorsqu'il faisait un grand tonnerre. " Et il ajouta en plaisantant : " Je ne suis heureux que lorsque Jupiter tonne." (Plutarque, Vie De Caton - 25). Alors, loin de moi l'idée de le résumer à son obsession anti-Carthage. Même si, après presque 300 ans de guerre, des dizaines de milliers de morts et trois conflits, il aura finalement obtenu gain de cause. Une addition peut-être un peu salée, quand même...


Pour en savoir plus sur la traversée des Alpes par Hannibal, un excellent site à visiter : www.hannibal-dans-les-alpes.com

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