mercredi 24 octobre 2012

Un Bref Aperçu De La Mosaïque Antique.

Christel Savarese.


Samedi dernier se tenait au Musée Archéologique de Nîmes une conférence sur la mosaïque antique, sujet qui m'intéresse, bien que je n'y connaisse pas grand chose. A moins que ce ne soit justement pour cette raison ! Je n'en sais pas plus, du moins, que le commun des mortels, dont l'expérience se résume généralement à contempler les œuvres et vestiges exposés dans les musées - ce qui, avouons-le, est assez maigre. L'occasion était donc toute trouvée d'aborder ce sujet, au cours d'un exposé passionnant présenté par Christel Savarese, artiste mosaïste de Perpignan. Cette charmante jeune femme, qui s'est d'abord lancée dans l'aventure dans le cadre de ses loisirs, s'est finalement reconvertie en 2009 et réalise aujourd'hui des reproductions de mosaïques antiques et médiévales, ainsi que ses propres œuvres, contemporaines et plus personnelles. Vous retrouverez ses coordonnées à la fin de ce billet, ou vous pouvez cliquer sur le lien, ici.




                                        La conférence, intitulée "La Mosaïque des origines à la période romaine" s'est tenue sur deux heures, avec une première partie consacrée à l'évolution de cet art depuis ses origines jusqu'à la fin de l'Empire romain, et un second temps au cours duquel les participants (dont l'auteur de ces lignes) ont pu s'exercer à la pratique, en taillant des tesselles et en poursuivant une œuvre déjà entamée. L'honnêteté me force à admettre que, malgré beaucoup de bonne volonté et un enthousiasme certain, l’œuvre en question n'en est pas sortie à son avantage ! Comme quoi, on ne s'improvise pas mosaïste...

La mosaïque en question, avant notre intervention.


PETITE HISTOIRE DE LA MOSAÏQUE.


                                        Mais commençons par le commencement. Si vous lisez cet article, il y a fort à parier que, intéressé par l'antiquité romaine, vous avez forcément pu admirer des mosaïques diverses et variées, au détour d'un musée, d'un site archéologique ou dans les pages d'un livre. Et s'il est un art que l'on associe à la Rome antique, c'est bien la mosaïque - ars romana par excellence. De fait, c'est durant l'antiquité occidentale que la mosaïque a connu son apogée. On la retrouve alors dans tout l'Empire romain, aussi bien en milieu urbain - dans la domus des plus aisés et dans les lieux publics comme les thermes par exemple - qu'en milieu rural, où elle orne les murs et les sols des villae. Florissante durant la période républicaine et le Bas-Empire, elle est pourtant née en Mésopotamie, avant que les Grecs ne mettent au point la technique telle que nous la connaissons. La première mosaïque connue date ainsi du VIII ème siècle avant J.C. : retrouvée à Gordion, capitale de l'ancienne Phrygie aujourd'hui en Turquie, elle représente un damier très simple, constitué de galets de même calibre non taillés, rouges, noirs et blancs. (opus lapilli)

Mosaïque de Gordion.

                                        Petit à petit, les mosaïques évoluent et se complexifient. Toujours en galets, elles représentent des dessins figuratifs, souvent mythologiques, et comportent parfois en insert des lamelles de plomb, qui rendent les contours du dessin plus nets. Au IV ème siècle avant J.C., cette technique atteint son apogée, avec des œuvres de plus en plus soignées et de plus en plus étendues, certaines comportant jusqu'à 40 000 galets.

Mosaïque de "La Chasse Au Lion". (Détail)

                                        Les Romains adoptent la mosaïque par l'intermédiaire des Grecs, dont l'empreinte demeure très présente dans les premiers ouvrages de la période républicaine. Elle le restera pendant longtemps, puisqu'il faudra attendre le Ier siècle pour que les Romains s'émancipent et développent un style différent.


Mosaïque de Morgantina.

                                        Cependant, un changement notable se produit au III ème siècle avant J.C., période à laquelle les galets sont remplacés par des tesselles, petits morceaux de pierre, marbre, verre, terre cuite, etc. taillés en dés. Du point de vue esthétique, c'est une révolution : la variété des matériaux, les nuances de couleurs, la finesse des tesselles permettent de produire des illustrations moins grossières et plus minutieuses, et de jouer sur les effets comme les ombres portées ou la perspective. Les œuvres deviennent plus réalistes, rivalisant avec la peinture. La plus ancienne mosaïque en tesselles connue à ce jour a été mise au jour à Morgantina (Sicile).

                                        Parallèlement aux mosaïques fixes et exécutées sur place, des mosaïques transportables voient le jour, comme les emblematae gréco-romains, fabriqués en atelier sur un support très léger (travertin, tuiles, etc.) et qui peuvent ensuite être acheminés vers une autre destination.

                                        C'est au cours du Ier siècle avant J.C. qu'apparaît l'expression latine "opus musivum" (d'où vient notre "mosaïque"), qui désigne à l'origine les décorations en tesselles ornant les parois et les voûtes des fontaines ou des grottes dédiées aux Muses. Il s'agit des premières mosaïques murales, jusque là utilisées pour orner les sols. Comme elles n'ont pas à souffrir des passages répétés et ne sont pas foulées au pied par les habitants ou les passants, on peut se permettre d'employer pour ces mosaïques pariétales des matériaux plus fragiles, comme les coquillages ou la pâte de verre. Voire de la feuille d'or, insérée entre deux tesselles de verre transparentes.

L'utilisation de la mosaïque se développe, et plusieurs types d'ouvrages apparaissent :

Exemple d'opus sectile.

  • L'opus tessellatum : la technique la plus courante, elle est notamment employée pour les figures géométriques ou les motifs de remplissage.
  • L'opus signinum : un mortier imperméable composé de chaux, de terre cuite et d'amphores ou de briques pilées recouvre le sol, et des tesselles y sont ensuite insérées. Plus simple à exécuter, cette technique est moins coûteuse.
  • L'opus sectile : réalisé à l'aide de plaquettes de marbres taillées et assemblées, de pierres de couleur ou de verre, il représente généralement des fleurs ou des motifs géométriques. La mise en œuvre en est rapide, mais la matière première est onéreuse.
  • L'opus vermiculatum : travail délicat et minutieux, il consiste en un assemblage de minuscules tesselles de 2 à 4 mm et se prête particulièrement au tracé de lignes sinueuses. Véritables tableaux rivalisant avec la peinture, ces mosaïques comptent parfois 1 million et demi de tesselles, à l'instar de la célèbre "Bataille d'Issos".
  • L'opus scutulatum : entre des tesselles d’une même couleur sont insérées des tesselles de couleurs et de dimensions différentes.

Mosaïque de "La Bataille d'Issos". (Détail)

                                        L'influence grecque perdure, et se fait notamment sentir par la présence d'un emblema, sorte de tableau enchâssé centré sur un fond rectangulaire uni - la mosaïque recouvrant alors souvent l'intégralité du sol d'une pièce.


Mosaïque monochrome du "Dieu Océan." (Saint-Romain-En-Gal)

                                        Au Ier siècle de notre ère cependant, cette influence s'estompe peu à peu, et les Romains développent de nouveaux styles, qui s'exportent dans tout l'Empire. En particulier, si l'on continue à fabriquer des mosaïques polychromes, on assiste à l'apparition d'ouvrages monochromes, en noir et blanc, qui domineront la production pendant deux siècles. Il s'agit bien ici d'un parti pris esthétique, et non d'un choix dicté, par exemple, par la pénurie de matériau. Le noir et blanc confère aux représentations un aspect graphique, caractéristique de la mosaïque romaine, qui y trouve son propre style. Cependant, si les mosaïques monochromes triomphent à Rome, la polychromie reste prépondérante dans les provinces.

                                        Il faut attendre la fin du II ème siècle pour que les mosaïques polychromes reviennent à la mode à Rome. On y retrouve des scènes similaires à celles attestées au cours des époques précédentes : des animaux, des masques de théâtre, les travaux agricoles - ou même les reliefs d'un repas offerts en offrande aux Dieux, ornant le sol d'un triclinium. Car, contrairement à la sculpture, la mosaïque a ceci de particulier qu'elle illustre souvent la vie quotidienne, avec des thèmes comme les saisons, les divertissements, les transports, etc.

                                        La mosaïque atteint son apogée à cette époque, et sa large diffusion dans tout le territoire dominé par Rome donne naissance à plusieurs courants, des écoles régionales qui modifient et enrichissent les motifs traditionnels, se différenciant ainsi petit à petit. Parmi les plus emblématiques, on peut citer :

  • Les écoles d'Afrique : très colorées et riches en détails, ces mosaïques se démarquent particulièrement dans la production antique. 
  • L'école d'Aquitaine : on y retrouve des décors répétitifs, montrant des végétaux ou des motifs géométriques, qui remplissent le fond de la mosaïque. 
  • L'école rhodanienne : se développant dans les villes de Vienne, Lyon, Nîmes ou Arles, elle représente des mosaïques constituées de plusieurs caissons contigus, figurant des emblemae et des motifs géométriques.



École d'Afrique.

École d'Aquitaine.
École rhodanienne.

Mais toutes les régions de l'Empire développent un style qui leur est propre, et il existe aussi des écoles syrienne, germanique, britannique, rhénane, etc. De même, il arrive que les influences se mêlent : c'est le cas à Saint-Romain-En-Gal où certaines mosaïques évoquent l'école syrienne, ou encore à la Villa Loupian, où les mosaïques comportent des éléments de l'école rhodanienne mais semblent également avoir intégré des influences d'Aquitaine.

                                        L'art de la mosaïque  ne cesse d'évoluer et de prospérer, jusqu'au déclin de l'Empire. L'affaiblissement de la puissance romaine entraîne un morcellement au sein duquel les provinces s'autonomisent, et les autochtones adoptent de nouveaux types d'habitats, moins luxueux, où les mosaïques n'ont plus leur place. Reste la religion chrétienne, qui utilise encore les mosaïques afin d'en orner les lieux de culte : les œuvres quittent alors le domaine privé et naît un art religieux, qui trouvera son prolongement dans les mosaïques byzantines et médiévales.

BREF APERÇU TECHNIQUE.


                                        Depuis le début de cet article, je ne cesse de parler d'art. Pourtant, cette conception n'a rien d'antique, où les mosaïstes étaient considérés non pas comme des artistes, mais comme des artisans. Pour preuve, ils signaient rarement leurs travaux : toutes périodes confondues, seules 15 mosaïques en Gaule portent le nom de ceux qui les ont fabriquées. Si l'on ignore d'où proviennent les dessins figurant sur les mosaïques - bien que la récurrence de certains motifs laisse envisager la possibilité de modèles diffusés dans tout l'Empire - le travail en lui-même est bien connu, notamment grâce aux écrits de Vitruve,  aux outils et matériaux mis au jour par les archéologues, et à la seule stèle funéraire retrouvée représentant la profession.


                                        Voyons tout d'abord l'aspect technique, avec la préparation du sol : au premier niveau le statumen constitué de pierres servant de fondation est recouvert par le rudus, mélange de tessons, de cailloux et de mortier. Par-dessus se trouve le nucleus, couche de sable et de chaux dans laquelle le mosaïste vient insérer les tesselles.

Maquette de C. Savarese, montrant les différentes couches préparatoires.


C. Savarese, sa marteline et son tranchet !
Les mosaïstes travaillent en équipe, avec une répartition des rôles bien précise. Les esclaves cassent le marbre, la pierre, le verre, la terre cuite, etc. et taillent les tesselles à l'aide de la marteline, frappée sur le tranchet. Le calcis coctor, quant à lui, fabrique la chaux, qui servira au pavimentarius pour préparer la chape de support. Le dessin proposé par le pictor imaginarius est reporté sur le sol  ou au mur par le pictor parietarius à l'aide de pigments, de charbon ou d'argile, avec des cordes tendues pour servir de lignes directrices dans le cas des œuvres les plus étendues. Enfin, le musaearius exécute les pièces figuratives ou les plus délicates situées dans les salles de réception (triclinium ou bureau par exemple), tandis que le tesselarius (généralement un apprenti) se fait la main sur les motifs les plus simples ou les mosaïques moins importantes, destinées aux parties communes ou aux chambres. Dernière étape, la mosaïque est égrenée ou poncée, jointée, et enfin huilée.





Voilà ce qu'on peut obtenir avec du travail et du talent... (Mosaïque de C. Savarese.)


                                        Je dois reconnaître que j'appréhendais un peu ces deux heures de conférence, et que je redoutais un exposé pontifiant sur l'Histoire et les différentes techniques. Or, j'aurais bien signé pour deux heures supplémentaires ! Et je pense que tous, de la novice comme moi aux participants plus expérimentés, auront appris quelque chose. Notre intervenante a su présenter son sujet de façon dynamique, avec pédagogie et simplicité, et transmettre la passion qui l'animait. Je remercie une fois encore Christel Savarese pour sa gentillesse, et j'en profite pour la rassurer : même si j'ai bien l'intention d'approfondir mes connaissances, et de me lancer prochainement, à mon tour, dans la réalisation d'une mosaïque, vous pouvez dormir sur vos deux oreilles ! Vu mes premières tentatives lors de votre atelier, il faudra un certain temps avant que je vous fasse de l'ombre...

Un troisième merci à Christel Savarese, qui a accepté de relire mon post et d'apporter quelques corrections... 

ARTIFICINA MOSAIQUE

CHRISTEL SAVARESE
Chemin de Château-Roussillon
66000 PERPIGNAN

E-mail : christelsavarese@orange.fr
Site : www.artificinamosaique.fr



P.S. : Un ajout, en ce 15 Novembre 2012, pour vous montrer le fameux fleuron sur lequel nous nous sommes exercés et que, contre toute attente, Christel Savarese est parvenue à sauver !

© Christel Savarese / Artificina Mosaïque.

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