samedi 30 mars 2013

FELG : Premier Bilan.

                              Chose promise, chose due ! Puisque j'ai eu l'occasion de participer au 8ème festival européen Latin-Grec, qui s'est déroulé du 21 au 24 Mars à Lyon, je vais pouvoir vous faire partager les multiples conférences qui se sont tenues à l'Université Louis-Lumière. Même si celles consacrées à la Grèce antique étaient également passionnantes, il m'a paru logique de me concentrer sur les interventions en lien avec l'antiquité romaine puisque c'est, après tout, le sujet de ce blog. Mais avant de poster quelques articles relatant les divers sujets abordés, j'ai voulu vous parler un peu de l'ambiance de ce festival, et surtout vous faire part de quelques jolies rencontres et découvertes... En vrac, dans l'ordre dans lequel ont eu lieu ces différentes manifestations.



                              Dès le premier jour, et à peine le pas de l'Université franchi, le ton est donné : nous sommes accueillis par une armée d'hoplites, et de jeunes et jolies Grecques - en costumes, évidemment ! Sympathique démonstration de collégiens, coordonnée par les Hoplites en Galatia, remarquable association d'histoire vivante se consacrant à la Grèce antique. Ils interviennent dans des musées ou des établissements scolaires, participent à des évènements tels que les Jeux Romains de Nîmes ou au tournage de films (vous avez pu les voir, par exemple, dans l'excellent "Au Nom d'Athènes", diffusé récemment sur ARTE), mais pratiquent aussi l'expérimentation archéologique et organisent des camps de découverte. Bref, des passionnés, dont je vous invite vivement à découvrir le site : http://hoplitesgalatia.free.fr/  Une grande rigueur dans la reconstitution, pour des mises en scène spectaculaires et, malgré l'antagonisme entre Grecs et Romains antiques, il me faut reconnaître que ces hoplites sont des gens charmants !

Moi, et ma garde d'hoplites...


                              Deuxième coup de cœur pour la compagnie Skald. Deux spectacles au cours de ce festival : "Fabulae d'après Phèdre et Avianus" et "Metamorphosis" d'après Ovide. Deux mises en scène étonnantes et vivantes, pleine de dynamisme, d'humour et de profondeur. J'ai particulièrement apprécié la première, déclinaison de fables célèbres ("Le Corbeau Et Le Renard", "Le Vieux Lion", "Le Loup Et L'Agneau", etc.) mixant Français et Latin, le tout au son de reproductions d'instruments de musique antiques. L'interprétation de Sowila Taïbi, qui associe le mime à l'interprétation théâtrale classique, est absolument fantastique : cette femme a un charisme et un talent immenses, un sens inné du spectacle et l'art de jouer sur plusieurs registres avec la même aisance. Jaufré Darroux, qui l'accompagne en tant qu'instrumentiste, ne démérite pas, et nous a fait découvrir quelques instruments rares, en parfaite osmose avec le sujet. Là encore, un site à retrouver ici : http://compagnie-skald.com/

Sowila Taïbi.

                              Parmi les autres spectacles proposés, une scène du "Petit Nicolas" traduite en Latin (par Mme Antébi, organisatrice du festival et Mme Saignes. Ces traductions ont fait l'objet d'un livre - lien ici.), des chansons de Téléphone et d'Abba, également en Latin, interprétées par les élèves du collège de la Salle de Grenoble et une représentation amusante et instructive de Guignol, le marionnettiste Gérard Truchet explorant avec verve et malice les relations entre argot lyonnais et langue latine. Mention spéciale aux élèves du collège Marcel Pagnol de Martigues, pour une comparaison "Marmite" de Plaute - "Avare" de Molière, extrêmement drôle ! Mais ma préférence va sans conteste à l'extraordinaire adaptation du "Cyclope" proposée par les élèves de terminale du lycée Gulli e Pennisi et leurs professeurs (Daniela Giusto et Rocco Schembra), d'après Théocrite et Ovide : jouée dans un excellent Français, spirituelle et enlevée, cette courte scène leur a valu une standing ovation amplement méritée. Etant moi-même d'origine sicilienne, je précise que le fait qu'ils viennent d'Acireale, près de Catane, n'a aucune influence sur mon enthousiasme !  

Mais qui est ce petit bonhomme, entre Gérard Truchet et moi ?!

                              J'aurais également pu vous parler d'autres moments forts du festival, comme la conférence de Nicolas Boulic ("Modernité d'Aristophane") ou l'interview de Gérard Collomb, sénateur-marie de Lyon, qui expliquait à quoi servait l'enseignement des Humanités. Il m'a malheureusement fallu faire un choix... J'ai aussi passé sous silence l'intervention de Guillaume Deheuvels consacrée à l'analyse des rapports entre epic, péplum et virtuel : basée sur l'analyse de scènes du film de Sergio Corbucci, "Romulus Et Remus", un compte-rendu sans les images m'a paru d'un intérêt moindre, et le reste de la conférence, sur le péplum en général, recoupait celle dont j'ai déjà parlée, donnée par Claude Aziza. (Voir ici)

                              De manière plus générale, je suis repartie enchantée de ces quelques jours d'immersion en pleine antiquité. Bien sûr, les conférences étaient passionnantes et les représentations formidables, mais j'ai surtout été marquée par l'ambiance chaleureuse et bonne enfant, et par l'implication de tous, simples spectateurs, intervenants et organisateurs. Je ne connaissais personne, mais l'enthousiasme général m'a tout de suite mise à l'aise, au point que je me suis vite sentie en terrain connu - presque "en famille". Une famille de passionnés, dont la simplicité n'égale que la culture, et qui savent vous tirer vers le haut. Parmi tous ces gens exceptionnels, la moindre n'est pas Elizabeth Antébi, qui a porté ce festival de bout en bout avec une énergie communicative. A mon petit niveau, je l'en félicite et surtout, je l'en remercie.

P.S. : Merci à Mme Chautard qui m'a signalé une erreur dans ce billet. Rendons à César ce qui appartient aux élèves du Collège de la Salle de Grenoble, interprètes des chansons de Téléphone et Abba en Latin... 

 


vendredi 15 mars 2013

La Toge Et Le Glaive En Mode "Pause"...

Tout est dans le titre : je m'accorde une pause d'une dizaine de jours, et je reprendrai donc ce blog vers la fin Mars. Mais n'imaginez pas que je pars en vacances ! Au contraire, je m'en vais explorer de nouveaux horizons - Lyon, en l’occurrence - et assister à la 8ème édition du Festival Européen Latin Grec, histoire de recueillir de la matière pour de futurs articles. J'ai déjà parlé de l'évènement ici, et vous pouvez retrouver toutes les informations en cliquant sur ce lien. Entre les différentes conférences et animations, les spectacles, les ateliers, les visites, les expositions, etc., je ne vais pas chômer !



 

                                        En parlant d'exposition, j'en profite pour vous signaler que je présente moi-même une petite installation consacrée aux jeux et jouets de l'enfance dans la Rome Antique. A voir dans la salle des Colloques de l'Université de Lyon II, en marge du festival. (Un peu d'auto-promo ne fait pas de mal, et je suis particulièrement fière d'avoir été sollicitée !!)


Un avant-goût de ma modeste collaboration...

                                        Et pour les Lyonnais qui n'assisteraient pas à la manifestation, je signale tout de même à votre intention un défilé en costumes antiques, dans une ambiance bon enfant, Dimanche 22 Mars. Départ à 11H30 du musée gallo-romain, en direction du quartier Saint-Jean. A voir, à mon avis - ne serait-ce que par curiosité.


                                        En attendant de vous retrouver très bientôt (ou, qui sait, de vous croiser à Lyon pendant le festival?), j'aurai une pensée pour vous tous qui suivez ce site, en arpentant la ville natale de l'Empereur Claude...

Valete !

  

mercredi 13 mars 2013

Les Gémonies : L'ai-Je Bien Descendu ?!


                                        J'ai déjà eu l'occasion, dans plusieurs articles de ce blog, de revenir sur certaines expressions passées dans le langage courant, et qui nous viennent directement de l'antiquité romaine. Parmi celles-ci, il en est une qui, bizarrement et en dépit de son lien avec l'histoire romaine, n'est apparue que bien plus tard dans la langue française: il s'agit de "Vouer aux gémonies", que l'on doit à Alphonse de Lamartine, au XIXème siècle.
"Dans ses sacrilèges caprices,
Le vois-tu, donnant à ses vices
Les noms de toutes les vertus;
Traîner Socrate aux gémonies,
Pour faire en des temples impies
L’apothéose d’Anytus?"
 
(Alphonse de Lamartine, "Méditations Poétiques", I-19.)

                                        Les gémonies, en Latin Scalae Gemoniae (Les marches gémonies, abrégé en Gemoniae), étaient des escaliers taillés dans la roche de la colline du Capitole, sur le flanc Nord-Ouest, et qui menaient au Tullianum ou prison mamertine. Situés dans la partie centrale de la ville, ils conduisaient de l'Arx (citadelle du Capitole) au Forum, en passant devant le Tabularium (les archives), le Temple de la Concorde et, donc, la prison. On suppose que son emplacement coïncidait avec l'actuelle Via di San Pietro in Carcere.

Plan de la Rome antique, avec l'escalier des Gémonies en rouge.

                                        Le mot lui-même, gémonies, viendrait soit du nom propre Gemonius, soit du verbe gemere (gémir) - cette dernière acception semblant la plus probable puisqu'on désignait également les gémonies par l'appellation gradus gemitorii (escaliers des gémissements) Et il faut bien admettre que ce n'est pas si difficile à croire, une fois que l'on connait l'histoire : les corps des condamnés, torturés et étranglés dans leur prison, étaient jetés dans ces escaliers. Ils y demeuraient plusieurs jours, visibles depuis le forum, outragés en paroles ou en actes par la populace, pourrissant sur place et mutilé par les chiens errants et autres charognards avant que, finalement, on ne les précipite dans les eaux du Tibre, où on les traînait à l'aide de crocs. Il arrivait aussi que l'on y amène les cadavres des individus exécutés ailleurs, mais dont on souhaitait faire un exemple. Deux explications, donc, aux gémissements poussés sur ces marches : ceux des prisonniers conduits à la prison, ou des "étranglés" pas tout  faits morts qu'on y laissait agoniser. Remarquez, l'un n'exclue pas l'autre...

Coupe de prison Mamertine, avec la cellule des condamnés à mort au sous-sol.

                                        Les prisonniers étaient enfermés en sous-sol, dans un cachot situé sous une geôle auquel on accédait par un simple trou dans le sol, et dont on ne pouvait sortir qu'à l'aide d'une corde. Inutile de préciser qu'une fois descendu là-dedans, on avait peu d'espoir d'en ressortir pour autre chose que pour une exécution en bonne et due forme.

Intérieur de la Prison Mamertine aujourd'hui.

                                        La coutume aurait été instaurée en 385 avant J.C., sous la dictature de Camille qui décida d'exposer sur ces marches les cadavres des criminels à la vue du peuple. Ils étaient alors gardés par des soldats, afin que leurs proches ne puissent pas venir les récupérer et les enterrer. L'exposition dans l'escalier des Gémonies était considérée comme déshonorante :
"Le sénat en effet livra M. Claudius aux Corses pour avoir fait avec eux une paix honteuse ; et, comme les ennemis refusèrent de le recevoir, il le fit mettre à mort dans la prison publique. Pour une seule offense à la majesté de l'empire, que de mesures violentes et quel acharnement dans la punition ! Le sénat annula le traité conclu par Claudius, le priva de la liberté, lui ôta la vie et lui infligea, pour le déshonorer, l'ignominie de la prison et l'abominable flétrissure des gémonies. (an de Rome 517)" (Valère-Maxime, "Actions Et Paroles Mémorables", VI, 3.3.)
                                        Au cours de l'histoire romaine, de nombreux patriciens et Sénateurs y ont pourtant été traînés - notamment à partir du règne sanglant de Tibère, marqué par plusieurs vagues de délations et d’exécutions. Parmi les malheureuses victimes, on peut citer les complices de Catilina par exemple, Vercingétorix (après 6 ans d’emprisonnement), ou encore Lucius Aelius Séjan, préfet du prétoire sous Tibère (justement !) en 31. Pour plus de détails sur l'affaire, vous pouvez jeter un œil ici, ou lire ces quelques lignes de Dion Cassius :
"Le peuple aussi, accourant sur son passage, lui rappelait avec mille imprécations les citoyens qu'il avait fait périr, et lui reprochait avec mille moqueries ses espérances ambitieuses. Il abattit, il brisa, il traîna dans la boue toutes ses statues, leur insultant comme il aurait fait à Séjan lui-même; et celui-ci put voir dans ce traitement l'image de celui qu'il allait bientôt souffrir. On commença par le jeter en prison : un peu après, ou plutôt le jour même, le sénat assemblé dans le temple de la Concorde, près de la prison, voyant les dispositions du peuple et l'absence de tout prétorien, décréta la peine de mort. A la suite de cette condamnation, Séjan fut précipité aux Gémonies, livré pendant trois jours entiers aux outrages de la populace puis jeté dans le fleuve." (Dion Cassius, "Histoire Romaine", LVIII - 11.)

Plaque dressant la liste des prisonniers célèbres du Tullianum. (© Boris Doesborg)



                                                 Mais j'ai encore mieux (ou pire ?) qu'un préfet du prétoire à vous proposer : figurez-vous qu'un Empereur a connu le même sort funeste ! Il s'agit de Vitellius, empereur en 69 (dite "année des quatre empereurs"). Successeur d'Othon, il n'a régné que durant huit mois, avant d'être renversé au profit de Vespasien. A la suite de la défaite de ses armées, Vitellius s'était réfugié dans un recoin de son palais, d’où il a été traîné avant d'être assassiné, et jeté dans l'escalier des gémonies.
"Le porc Vitellius roulait aux gémonies.
Escalier des grandeurs et des ignominies,
Bagne effrayant des morts, pilori des néants,
Saignant, fumant, infect, ce charnier de géants
Semblait fait pour pourrir le squelette du monde.
Des torturés râlaient sur cette rampe immonde,
Juifs sans langue, poltrons sans poings, larrons sans yeux;
Ainsi que dans le cirque atroce et furieux
L'agonie était là, hurlant sur chaque marche. "
(Victor Hugo, "La Légende Des Siècles",  Tome I - chap. 10)

"La Mort De Vitellius" (Toile de Charles-Gustave Housez.)


                                        Pendant antique et romain du Pont des Soupirs vénitien, quoiqu'en plus sanglant, les gémonies ont donné l'expression qui nous occupe aujourd'hui. "Vouer quelqu'un aux gémonies" cela signifie donc le couvrir de honte, l'accabler de reproches publiquement, l'humilier avec ostentation. Encore y survit-on généralement, ce qui n'était pas vraiment le cas chez les Romains...

dimanche 10 mars 2013

La journée-type d'un Romain.

                                        Vous commencez à le savoir, j'ai mes favoris parmi les grandes figures de l'Histoire romaine. Ma foi, j'estime que c'est bien normal : à force d'étude et de lectures, j'ai forcément développé une attirance pour certaines personnalités, qui me touchent plus que les autres. N'étant pas historienne, j'ai par ailleurs l'immense avantage de n'être pas tenue à une stricte objectivité ! Mais en dehors des personnages historiques, j'ai déjà eu l'occasion de raconter à quel point la visite de sites archéologiques m'émouvait, parce qu'on y retrouvait les traces de la vie quotidienne des Romains anonymes - qui, reconnaissons-le, sont plus proches de vous ou moi qu'un Jules César ou un Marc Aurèle. C'est sans doute pour cette raison que j'ai eu envie de consacrer un billet à la journée-type d'un Romain...

Fasti Praestini - Calendrier public indiquant jours fastes et néfastes.

                                        Précisons d'emblée que l'entreprise a quelque chose d'artificiel, et ce pour plusieurs raisons. D'abord, vous vous doutez bien que la journée d'un riche patricien de Rome n'a pas grand-chose à voir avec celle d'un commerçant du fin fond de la Narbonnaise ou d'un esclave rural. Ensuite, la principale préoccupation des plus pauvres consistait avant tout à se procurer de quoi manger... Et puis, il faut bien se borner à énoncer des généralités : il y a forcément des originaux, fiers de ne rien faire comme leurs voisins, qui se lèvent à point d'heure, sautent le petit-déjeuner et arpentent le forum en plein midi ! Enfin, n'oublions pas que le calendrier romain était émaillé de jours néfastes (dies nefasti) et les jours fastes (dies fasti) et, parmi ceux-ci, les jours comitiaux (comitiales) où les magistrats pouvaient tenir leur tribunal et convoquer les assemblées politiques; les jours scindés (scissi) fériés le matin seulement et fastes le reste du temps; les jours entrecoupés (endotercisi) néfastes le matin et le soir, mais fastes dans l'intervalle... Ce qui, franchement, ne nous facilite pas la tâche !

Gaius, tel que je l'imagine.


Mais enfin, si vous deviez décrire l'emploi du temps d'un Français moyen, convenez que vous trouveriez néanmoins quelques grandes lignes, susceptibles de donner une bonne idée de la vie quotidienne. Et bien, c'est un peu ce que j'ai tenté de faire ici ! Voici donc une idée générale de la façon dont un citoyen romain occupait ses journées. Pour des raisons évidentes, nous considérerons qu'il s'agit d'un jour faste, et j'ai décidé de prénommer mon Romain Gaius - pour éviter d'avoir à rabâcher "Les Romains ci, les Romains mi" tout au long de mon article... J'en ai fait un Sénateur du début de l'Empire.




                                         Je rappelle tout d'abord que le jour était divisé en douze heures, de durées inégales selon la saison puisqu'elles suivaient le cours du soleil : concrètement, cela signifie que les heures estivales étaient plus longues que les heures hivernales. Et, bien sûr, les Romains ne connaissaient pas les week-ends ! Oubliée donc, la grasse mâtinée hebdomadaire pour Gaius...

Gaius se drape dans sa toge.

                                        A l'instar de leurs ancêtres agriculteurs, nos amis les Romains sont des lève-tôt : la bienséance fait qu'il est mal vu de traînasser au lit, au point qu'on s'éveille même souvent avant le lever du soleil. C'est donc le cas pour notre ami Gaius, debout dès les premières lueurs du jour, été comme hiver. Après une toilette rapide faite de quelques ablutions, il s'accorde parfois un moment pour lire dans sa chambre, vêtu de sa simple tunique et chaussé de ses sandales. Puis, il se drape dans sa toge, aidé par des esclaves. Certains se rendent chez le barbier au cours de la journée, autant pour prendre soin de leur apparence que pour discuter avec les autres clients des derniers ragots ou des lois récemment adoptées. Cependant, Gaius préfère se faire raser par son barbier personnel, un esclave syrien qui lui a coûté très cher...

Aliments pouvant composer le jentaculum.

                                        Comme le veut la tradition, la famille et les esclaves se présentent devant Gaius, le Pater Familias, afin de lui souhaiter une bonne journée. C'est alors l'heure de l'équivalent de notre petit-déjeuner, le jentaculum : cette collation froide se compose de pain, de miel et d'un peu d'huile d'olive, parfois de fruits et de fromage; il tend cependant à disparaître sous l'Empire, où il est remplacé par un simple verre d'eau, afin de récupérer de la lourde cena de la veille.

                                        A peine Gaius a-t-il fini de manger que, déjà, se presse dans l'atrium la foule de ses clients, venus le saluer et l'entretenir de toutes sortes d'affaires, notamment judiciaires. Gaius les reçoit, prête une oreille attentive à leurs problèmes, leur promet d'user de son influence pour les soutenir, et leur fait distribuer la sportule - sous forme de nourriture ou d'une petite somme d'argent. Jeune sénateur, Gaius est lui-même le client d'un homme plus puissant, et il lui faut également lui rendre visite afin de s'acquitter de son devoir.

Artisans boulangers au travail.

                                        Le reste du temps, est consacré au travail : l'artisan s'active dans son atelier, l'esclave s'attelle aux tâches qui lui sont dévolues, le patricien s'acquitte de sa correspondance ou se consacre à la gestion de ses comptes avec le concours de son secrétaire. Dans les zones rurales, le propriétaire parcourt son domaine pour surveiller l'avancée des travaux, inspecter les cultures et le bétail. Les magistrats assistent aux réunions et remplissent leur office public, les prêtres procèdent aux sacrifices rituels, les candidats mènent campagne électorale, les avocats plaident devant les juges, etc. Selon son mandat, un magistrat Romain peut avoir d'autres tâches à remplir comme assurer l'organisation des prochains jeux ou l'entretien des voies publiques.

Le forum, lieu de rencontre sociale.

                                        A Rome et dans les grandes villes de l'Empire, la vie publique s'organise autour du forum. C'est là que se rend Gaius, accompagné d'un ou plusieurs esclaves et de ses clients, qui lui font escorte. Il y rencontre amis et associés, afin de discuter des dernières nouvelles (décrets, lois, procès en cours mais aussi rumeurs et commérages), et régler quelques affaires - Gaius possède des immeubles qu'il loue, car les Sénateurs sont interdits de commerce. Les portiques, simples lieux de passage ou adjacents aux édifices publics tels que le forum, les théâtres ou le cirque par exemple, sont également très fréquentés : ces galeries couvertes se prêtent aux rencontres et aux réunions. Outre la protection qu'elles offrent tant contre la chaleur que contre les intempéries, on y trouve des commerces, des fontaines, et souvent même un auditorium public.

Les galeries couvertes du marché de Trajan. (Pardon pour l'anachronisme !)





Gaius au Sénat.
Si le Sénat se réunit, Gaius se rend à la Curie et prend part aux débats, qui durent parfois jusqu'à la nuit tombée, et ne s'interrompent légalement qu'avec le coucher du soleil. Parfois, Gaius apporte son témoignage ou assiste l'un de ses amis au cours d'un procès. La foule est nombreuse dans les basiliques où se tiennent les actions en justice, et les places sont rares car les débats passionnent les Romains - à plus forte raison lors d'une affaire emblématique ou lorsque les avocats ou les accusés jouissent d'une certaine notoriété. Les spectateurs ne se privent pas de donner leur avis et de manifester leur opinion à grands cris. D'autres plébéiens se contentent de vagabonder à travers les places et les rues, de boire et de jouer aux dés dans les tavernes...




Madame Gaius fait du shopping.
Pendant ce temps, Madame Gaius n'est pas en reste : elle s'active à la maison, donnant aux esclaves ses instructions pour la journée et s'assurant du bon état de son foyer. Elle enseigne aussi à ses filles diverses tâches ménagères (dont le filage et le tissage, si chers à ce brave empereur Auguste !), et se rend parfois au marché afin d'y faire quelques achats et s'offrir quelques babioles. (Les courses alimentaires sont évidemment une tâche confiée aux esclaves). Elle en profite de temps en temps pour s'accorder un moment aux thermes, où elle retrouve ses amies - les bains publics sont réservés aux femmes le matin et aux hommes l'après-midi. Quant aux enfants, il y a longtemps qu'ils sont partis pour l'école, accompagnés de leur précepteur.


Exemple de prandium.

                                        Lorsqu'il le peut, Gaius rentre chez lui vers midi pour prendre le prandium (notre déjeuner), seconde collation frugale qui se compose de viande ou de poisson accompagné de légumes. Il ne boit généralement pas de vin. Pendant les journées les plus chaudes de l’été, il s'accorde une courte sieste, d'autant plus nécessaire que la journée a commencé fort tôt. La coutume de ces quelques heures de repos s’est d'ailleurs maintenue dans certains pays méditerranéens.

Les thermes.

                                        Si toutes les tâches importantes ont été accomplies dans la matinée, Gaius occupe le reste de la journée à converser sur le Champ De Mars ou le Forum, et se détend en se rendant aux thermes par exemple, ou dans les bibliothèques, au théâtre, à la palestre, etc. Là, il a toutes les chances de croiser à nouveau quelques connaissances - les mêmes que le matin, sans doute... Lors de la tenue de jeux importants, Gaius sait qu'il devra se montrer au cirque : son absence pourrait être considérée comme une offense envers l'organisateur. Voilà qui serait très impoli, et se révèlera même plus tard extrêmement dangereux, lorsque les jeux en question seront donnés par certains Empereurs...

Reconstitution du triclinium de la Villa Des Mystères à Pompéi. (©James Stanton-Abbott)

                                        Enfin, vient le moment de la cena, le dîner. Repas principal, il ne se prend qu'à la nuit tombée, et se mettre à table lorsque le ciel est encore clair est une preuve de vie dissolue. Il arrive que Gaius soit convié chez des amis ou qu'il invite lui-même quelques connaissances plus ou moins proches. Habituellement, neuf convives s'étendent sur trois lits inclinés, disposés sur trois côtés d'un rectangle. Gaius lui-même, le maître de maison, préside à la place d'honneur, à droite du lit du milieu (lectus medius), les invités étant répartis selon leur rang à droite (lectus summus) ou à gauche (lectus imus).  Vers la fin de la République, le lit est remplacé par le stibadium, sorte de sofa de forme semi-circulaire. Toutefois, la coutume de manger couché, sans doute d'origine étrusque, n'a pas été adoptée à Rome sans quelques réticences et, pendant longtemps, les femmes étaient exclues de la cena, ou préféraient s'asseoir pour manger. Ce n'est plus le cas aujourd'hui, et Madame Gaius assiste au dîner en compagnie de son époux.



                                        Devant chacun est placée une petite table, sur laquelle les esclaves disposent les plats des différents services. On mange avec les doigts - les mets étant présentés découpés - ou avec une large cuillère lorsque sont offerts des aliments liquides. Contrairement aux idées reçues, l'usage des serviettes est courant, et des esclaves viennent présenter des rince-doigts entre les services tandis que d'autres sont chargés de verser le vin. Les crûs les plus appréciés - de Falerne ou de Massique - sont particulièrement lourds et capiteux, raison pour laquelle on ne les boit pas pur, mais on les coupe avec de l'eau. Détail amusant : les amphores de vin portent le nom du consul en exercice pendant leur millésime - et l'on peut citer ceux produits sous le consulat d'Optimius (122 avant J.C.), extrêmement réputés. 


Fresque représentant une cena. (Musée archéologique de Naples)

                                       Je me bornerai ici à quelques généralités : j'aurais l'occasion de revenir sur l’alimentation des Romains plus en détails dans un prochain billet. Pour l'instant, contentons-nous de préciser que la cena comporte généralement trois services :
  • Les hors-d’œuvre (qui n'apparaissent toutefois qu'à la fin de la République) : œufs, poissons froids, salades, friandises salées - le tout arrosé de vins doux, sucrés de miel.
  • Les plats principaux : de préférence de la volaille ou du gibier, ou des poissons de mer, que l'on fait parfois venir de très loin. Cependant, les riches propriétaires aiment à servir la production de leurs propres domaines, et aménagent dans ce but des piscinae ou des parcs à gibier sur leurs propriétés.
  • Le dessert : des pâtisseries ou des fruits, locaux ou importés d'Orient - comme les cerises ou les pêches.
                                       Tandis que les convives dégustent les plats, des danseurs, des musiciens, des bateleurs viennent les distraire. Une autre coutume, venue de Grèce, consiste à élire un "Roi Du Festin", qui décide du nombre de coupes de vin que chacun doit boire, impose des gages et des défis, propose des jeux d'osselets. Gaius redoute toujours un peu ce moment, où l'excès de boisson entraine parfois des dérapages et des querelles lorsque les invités réclament le jeu de dés (ce qui est illégal) et parient des sommes folles. Mais heureusement, la joyeuse compagnie finit toujours par se séparer plus ou moins paisiblement, dans l'ivresse générale, et chacun rentre chez soi - parfois en titubant et en s'appuyant fébrilement sur l'épaule d'un esclave...

Mosaïque montrant des Romains jouant aux dés.

                                       Pour autant, ces somptueuses cenae ne sont pas le quotidien de Gaius, qui se contente bien souvent d'un dîner frugal, en famille. Dans ce cas, il se couche de bonne heure, d'une part parce qu'il sait qu'il se lèvera tôt le lendemain, et d'autre part car les lampes à huiles éclairant faiblement, il n'a pas la possibilité de travailler ou de lire dans la pénombre. Quant à ses esclaves, ils peuvent enfin se reposer : une fois la maison endormie, leur journée de travail est enfin achevée...

                                   
                                       Dès le lendemain matin, notre ami Gaius reproduira peu ou prou les mêmes gestes, et effectuera les mêmes activités... Un peu comme nous, finalement ! A quelques détails près, bien sûr : nos jours fériés ont remplacé les jours néfastes, nos repas ne sont plus égayés que par la télévision, et il y a belle lurette que mes esclaves ne sont pas venus me saluer le matin. Mais fondamentalement, il semble bien que le train-train quotidien soit notre lot à tous... N'empêche : je regrette  un peu la cena : voilà qui devait être plus amusant que de dîner devant le journal télévisé !


mercredi 6 mars 2013

Vespasien, L'Homme De La Situation.

                                        Vespasien, je vous en ai déjà parlé, lorsque je suis revenue sur l'expression "L'argent n'a pas d'odeur", ici. J'aurais très bien pu en rester là, mais vous auriez alors été en droit de penser que le seul fait de gloire de cet Empereur, ce fut la taxation de l'urine ! Or, vous vous imaginez bien que son action ne s'est pas limitée à cela. Découvrons donc ce Titus Flavius Vespasianus, alias Vespasien, fondateur de la dynastie des Flaviens et Empereur de 69 à 79.

Buste de Vespasien.


Origines et formation : un futur Empereur plébéién.


                                        Rien ne le prédisposait à revêtir un jour la Pourpre. Né en 9 à Falacrina, près de Reate en pays Sabin, Vespasien est issu d'une famille relativement modeste, d'origine plébéienne. Son grand-père, centurion de l'armée romaine, s'est pourtant distingué lors de la bataille de Pharsale (48 avant J..C.), avant de devenir collecteur de dettes. Son père, Titus Flavius Sabinus, a œuvré comme publicain dans la province d'Asie, puis comme banquier en Helvétie - preuve que l'administration romaine mène à tout ! Son mariage avec Vespasiana Polla lui a permis d'entrer dans l'ordre équestre : de cette union sont nés trois enfants, dont Vespasien. Son frère aîné, Titus Flavius Sabinus (aussi !), fait une brillante carrière sénatoriale et gravit les échelons du cursus honorum, jusqu'à devenir préteur en 40.

Vespasien.
L'avenir de Vespasien s'annonce moins brillant. Élevé par sa grand-mère paternelle, il commence par suivre les traces de son frère, et épouse à cette époque Flavia Domitilla, dont il a une fille - Domitilla (née en 39) - et deux fils - les futurs Empereurs Titus (né en 41) et Domitien (51). Sa femme et sa fille mourront avant qu'il ne devienne Empereur, et Vespasien épousera alors une maîtresse de longue date, Antonia Ceanis.

Contrairement à son frère, il préfère se lancer dans une carrière militaire et sert en Thrace pendant 3 ans. A son retour à Rome, il obtient un poste mineur, et se retrouve en charge de l'entretien des rues. Avec, semble-t-il, un succès mitigé, puisque Caligula aurait joyeusement maculé la toge de Vespasien de pleines poignées de boue, pour se plaindre de la saleté urbaine! Au terme dans son mandat, Vespasien est élu questeur, et exerce son poste en Crète. Après une première tentative ratée, il devient édile en 38 puis obtient la préture en 40.

Guerre en Bretagne et révolte de Judée.


                                        Devenu Empereur en 41, Claude se heurte à un problème : il lui faut asseoir son autorité et sa crédibilité. Quelle meilleure solution qu'une bonne petite conquête, de préférence celle d'un territoire sur lequel ces prédécesseurs se sont cassé les dents ?! Ce sera donc la Bretagne. Vespasien, nommé légat de la Legio II Augusta grâce à son amitié avec Narcisse, l'affranchi de l'Empereur, prend part à la conquête. Il s'illustre lors des premières batailles et part ensuite dans le sud-ouest, afin de soumettre les rebelles et assurer la sécurité des ports. Son intelligence et son pragmatisme font merveille :
"Il soumit deux peuples très belliqueux, plus de vingt places, et l'île de Vectis (L'île de Wight), voisine de la Bretagne, tantôt sous le commandement d'Aulus Plautius, lieutenant consulaire, tantôt sous celui de Claude lui-même. Aussi reçut-il les ornements du triomphe et peu de temps après, un double sacerdoce. Il fut même créé consul pendant les deux derniers mois de l'année." (Suétone, "Vie De Vespasien", IV) 

Nous sommes alors en 51, et Narcisse est tombé en disgrâce auprès d'Agrippine, l'épouse de Claude. Redoutant qu'elle ne s'en prenne aux protégés de l'affranchi, Vespasien juge plus prudent de se retirer de la vie publique, histoire de se faire oublier.

Néron et Agrippine. (Musée d'Aphrodisias - ©Leon Mauldin)

                                        Dans l'intervalle, Néron a succédé à Claude. Vespasien est perçu par le nouvel Empereur, qu'il accompagne en Grèce, comme un rustre de soldat provincial, à l'opposé des personnages distingués et raffinés qui composent son entourage. C'est à double tranchant : il n'est pas recommandé de briller par ses talents artistiques à la Cour de Néron, mais Vespasien est totalement hermétique aux vocalises et exhibitions de l'Empereur / histrion - au point qu'il s'endort au cours d'un de ses récitals ! Certains ont laissé leur tête pour moins que ça...
"En accompagnant Néron dans son voyage en Grèce, il encourut une complète disgrâce pour être sorti souvent ou s'être endormi pendant que ce prince chantait. Il fut non seulement éloigné de sa suite, il lui fut même interdit de venir lui rendre ses devoirs en public." (Suétone, Ibid.)

                                        Il est expédié comme proconsul en Afrique (63) mais coup de bol, Néron est aussi un paranoïaque (quoique, pas toujours à tort), prompt à faire exécuter ses meilleurs généraux, de sorte qu'au moment de mater la révolte des Juifs, il ne lui reste d'autre choix que de nommer Vespasien à la tête de l'armée d'Orient. Une fois encore, Vespasien s'illustre : secondé par son fils aîné Titus, il reconquiert la Galilée, bastion des Zélotes. Des villes entières sont rasées, des milliers de Juifs tués, et Rome reprend le contrôle de la Judée. Signalons que c'est au cours de cette guerre que Vespasien rencontre Joseph Ben Matthias, qui prendra le nom de de Flavius Josèphe et dont il deviendra le patron : ce fer de lance de la résistance juive, capturé lors du siège de Yodfat, écrira plus tard l'histoire de son peuple en Grec, et dressera de Vespasien le portrait d'un homme intelligent, juste et humain.

Flavius Josèphe amené devant Vespasien.

Petits massacres entre Empereurs : le retour des guerres civiles.


                                       Mais revenons un instant en arrière, en 68 : à Rome, Néron a réussi à se mettre tout le monde à dos, et il est contraint au suicide. Il meurt sans héritier, et sans laisser un seul Julio-Claudien susceptible de lui succéder. L’Empire sombre dans l'anarchie et pas moins de quatre énergumènes vont se succéder au cours de l'année suivante, connue comme "L'année des quatre empereurs." Pour résumer, chaque légion a son champion, et la guerre civile fait rage. On se trucide allègrement : Galba décroche la Pourpre, mais il est assassiné par les hommes d'Othon (Titus, parti de Judée pour le féliciter, n'a même pas le temps d'atteindre l'Italie !), lui-même tué par les fidèles de Vitellius. "On fait quoi, maintenant ?" se demandent les partisans d'Othon. Et bien, mes amis, on se reporte sur Vespasien, ce rugueux soldat, peut-être moins manche que les trois autres, qui a maintes fois prouvé sa valeur au combat ! Ce qui ne gâche rien, c'est que selon Suétone, une prophétie annonce que  les futurs dirigeants du Monde viendront de Judée. Vespasien lui-même commence à y croire, d'autant qu'il peut compter sur l'appui du gouverneur de Syrie, Mucien, et sur les Légions placées sous son propre commandement. Celles-ci le proclament Empereur en Juillet 69. Vespasien est alors âgé de soixante ans, et il a passé la majeure partie de sa vie dans l’armée. Il va pourtant se révéler un habile gouvernant.
"Le mouvement qui mit l'empire aux mains de Vespasien partit d'Alexandrie. Tibérius Alexander en hâta le signal en faisant reconnaître ce prince par ses légions dès les kalendes de juillet. L'usage a consacré ce jour comme le premier de son règne, quoique ce soit le cinq des nones que les troupes de Judée firent serment entre ses mains. Ce fut du reste avec tant d'ardeur qu'elles n'attendirent pas même son fils Titus revenant de Syrie et organe des intelligences de Mucien et de son père. L'enthousiasme des soldats fit tout sans qu'on les eût harangués, sans qu'on eût réuni les légions." (Tacite, "Histoires", II - 79)

L'Empereur Vitellius.

                                        Reste quand même un léger problème en la personne de Vitellius, qui occupe toujours le trône, et dont la position semble assurée par le soutien des légions de Gaule et de Rhénanie. Mais la résistance s'organise à Rome même, dont le préfet n'est autre que le frère de Vespasien, Titus Sabinus, et les Légions du Danube se rallient à lui. Tandis que Vespasien prend le contrôle de l’Égypte - dont dépend l'approvisionnement en blé -  les Légions du Danube se portent en Italie. Elles y rencontrent celles de Vitellius, qu'elles écrasent à Bedriacum (Décembre 69), avant de marcher sur Rome. La ville est alors le théâtre de furieux combats, au cours desquels le Capitole est entièrement détruit :
"La flamme gagna les portiques qui régnaient autour du temple : bientôt les aigles qui soutenaient le faîte, et dont le bois était vieux, prirent feu et nourrirent l'embrasement. Ainsi brûla le Capitole, les portes fermées, et sans que personne le défendît ni le pillât." (Tacite, "Histoires", III - 71)
Sabinus est tué dans la confusion, et Vitellius, quant à lui, est massacré par les partisans de Vespasien. Fin de l'année des quatre Empereurs et de la guerre civile, dont Vespasien sort victorieux.

Politique intérieure et extérieure de Vespasien.


                                        Alors qu'il est toujours en Égypte (soit que son retour ait été retardé par le mauvais temps, soit qu'il ait préféré consolider au préalable ses soutiens en Orient), Vespasien est proclamé empereur par le Sénat en Décembre 69. En son absence (il ne reviendra à Rome qu'en Septembre ou Octobre 70), il a confié l'administration de l'empire a son fils Domitien et à Mucien, qui s'en donnent à cœur joie. Le premier s'empresse de procéder à de nombreuses nominations - "au point que Vespasien écrivit un jour à Domitien : « Je te rends grâces, mon fils, de me laisser empereur et de ne m'avoir pas encore destitué. » (Dion Cassius, "Histoire Romaine",  LVXI - 21) ! 

Le futur Empereur Domitien. (Musée du Louvre)


Le second, en revanche, suit les directives du nouveau maître de Rome. Il faut avouer que la situation n'a rien de drôle. D'abord, la guerre civile a complètement désorganisé l'armée, qui s'est mise en tête d'intervenir dans la vie politique : il convient donc de renvoyer tout ce petit monde dans ses casernes. Ensuite, Néron a scrupuleusement vidé les caisses - d'où la nécessité d'une vaste réforme fiscale et d'une stricte politique d'économie. En la matière, Vespasien fera preuve d'une bonne dose d'imagination, instaurant de nombreuses taxes parmi lesquelles le fameux impôt sur l'urine. Il dévalue aussi le cours du denier, réduisant son poids en argent. Enfin, Mucien restaure le Capitole et entame de grandes constructions, qui marqueront le règne de Vespasien. Celui-ci entreprendra notamment de bâtir un nouveau Forum comportant un Temple de La Paix et un temple dédié à Claude, ainsi qu'un immense amphithéâtre - le Colisée.

"Vespasien faisant élever le Colisée à Rome" (Gabriel Blanchard - Château de Versailles)


                                        Sur le plan militaire, Vespasien se contente de stabiliser les frontières de l'Empire, qu'il fortifie afin de garder à l’œil les peuples barbares voisins. En 70, Vespasien et Titus s'efforcent de pacifier l'Orient et de mettre un terme à la guerre de Judée : un accord est signé avec les Parthes afin de garantir les frontières arméniennes et Jérusalem tombe en Septembre. Deux ans plus tard (72 -73) aura lieu le siège de Massada, qui anéantira les rebelles les plus ardents, et le Temple de Jérusalem sera rasé. En Occident, une révolte menée par Civilis, se réclamant descendant de César, est réprimée en Gaule dès le début du règne (70), et en 78, le Général Agricola (beau-père de l'historiographe Tacite) étend et consolide la domination romaine en Bretagne, atteignant l'actuelle Écosse.

"Le Triomphe De Titus Et Vespasien." (Giulio Romano - Musée du Louvre.)

                                        Du point de vue législatif, il est intéressant d'observer la manière dont Vespasien, contesté à cause de ses origines, décide d'asseoir sa légitimité. Il fait voter une loi, la lex de imperio Vespasiani, qui lui confère la titulature impériale et l'ensemble des pouvoirs. C'est la première fois que la nature du pouvoir est ainsi actée, puisque l'Empereur n'était auparavant qu'un citoyen comme les autres, mais auquel le Sénat confiait toute une série de responsabilités "exceptionnelles". Elles n'avaient évidemment d'exceptionnelles que le nom, mais les apparences qu'Auguste avait tant tenu à préserver étaient sauves. C'est dans la même optique que Vespasien inclut le titre "Imperator" dans sa nomenclature officielle, enterrant définitivement la République assassinée par Auguste, mais on brandissait encore le cadavre sous le nez des Sénateurs.

                                        Une autre rupture caractérise l'entrée en fonction de Vespasien, puisqu'il choisit de commémorer son accession au trône le jour de son acclamation par l'armée. Or, jusqu'ici, la date retenue était celle de la désignation de l'Empereur par le Sénat... Là encore, chacun avait parfaitement conscience de la prépondérance de l'armée sur le Sénat dans la désignation du nouvel Empereur, depuis que Claude avait été porté au pouvoir par la Garde prétorienne, et que les Sénateurs s'étaient vus contraints d'entériner ce choix. Mais Vespasien, en retenant cette date symbolique, officialise cet état de fait. Pour couronner le tout (c'est le cas de le dire !),  il clame haut et fort que seuls ses fils lui succèderont, revendiquant ainsi le caractère héréditaire du régime impérial.

Propagande et humour : la formule de la popularité.



Suétone (Chroniques de Nuremberg - Source wikipedia)
 Le règne de Vespasien se caractérise, selon plusieurs historiens, par l'importance accordée à la propagande. Le fameux présage dont je parlais plus haut est ainsi mis en exergue dans tout l'Empire, et les pièces de monnaie frappées sous son règne célèbrent les victoires militaires et la paix retrouvée. De même, les constructions publiques participent à cette politique. En littérature également, Vespasien exerce un contrôle sur les écrits, approuvant ceux qui lui sont favorables et censurant les autres. Tacite, Suétone, Pline l'Ancien, Flavius Josèphe : ai-je besoin d'en dire plus ? Tous ces auteurs, ses contemporains, sont étrangement unanimes à l'heure de louer l'Empereur et de dénigrer ses prédécesseurs. Ce qui peut se comprendre, puisque Vespasien rétribuait plusieurs hommes de lettres, leur versant des espèces sonnantes et trébuchantes. Mais même s'ils en retirent un bénéfice ou soient, comme Falvius Josèphe, redevables à l'Empereur, doit-on mettre en doute leurs propos ? Après tout, ils sont peut-être sincères... Le cas de Suétone est particulier : issu d'une famille sénatoriale proche des Flaviens (son père a pris part à la lutte contre Vitellius), il est tellement hostile aux Julio-Claudiens qu'il n'a certainement besoin d'aucun encouragement pour les accabler et louer leur successeur ! A contrario, les voix dissonantes sont peu audibles aujourd'hui. Nous savons que Vespasien a banni plusieurs philosophes, accusés de corrompre la jeunesse par un enseignement inapproprié. Un stoïcien, républicain convaincu, du nom d'Helvidius Priscus, a même été mis à mort. Mais un autre, un certain Demetrius, a simplement été exilé, Vespasien arguant : "Je ne vais pas tuer un chien qui aboie après moi." (Dion Cassius, "Histoire Romaine", LXVI - 13)


Flavius Josèphe.


                                        Propagande ou pas, Vespasien semble avoir été extrêmement populaire : un type simple (Il refuse la protection des gardes impériaux et se mêle souvent à la foule des citoyens), avec les pieds sur terre, qui leur apporte la paix et la stabilité : voilà ce que demande le peuple ! Il laisse aussi l'image d'un homme franc, s'exprimant sans détour, et doté d'un solide sens de l'humour - y compris, paradoxalement, lorsqu'il était lui-même l'objet de plaisanteries.
"En un mot, par le soin qu'il prenait des affaires publiques, il se montrait comme empereur ; dans tout le le reste, il se conduisait envers tous comme un particulier et comme un égal. Il raillait familièrement et soutirait sans peine qu'on le raillât." (Dion Cassius, "Histoire Romaine", LXVI - 11)
Outre ses dernières paroles (voir ci-dessous), qui dénotent bien l'esprit du bonhomme, on peut citer plusieurs exemples d'anecdotes et de saillies amusantes. J'en ai retenu deux, que je trouve particulièrement réjouissantes.

Vespasien.
La première place Vespasien face à une délégation de sénateurs, venue l'informer qu'on a décidé de lui ériger une statue colossale, d'un prix considérable. L'Empereur réclame alors l'argent en tendant la main : "Placez-là tout de suite, le piédestal est prêt !" (Suétone, "Vie De Vespasien", XXIII) Quant à la seconde, c'est sans doute ma préférée : un des affranchis favoris de Vespasien vient lui demander une place d'intendant pour quelqu'un qu'il prétend être son frère. Vespasien diffère sa réponse, le temps de s'entretenir en privé avec le candidat. Il lui extorque le même pot-de-vin que celui-ci avait promis et lui octroie le poste. Quelques temps plus tard, lorsque son favori remet le sujet sur le tapis, Vespasien lui rétorque: "Cherche-toi un autre frère. celui que tu croyais le tien s'est avéré être le mien."(Suétone, Ibid.)


Mort et postérité.


                                        Selon les auteurs déjà cités, Vespasien aurait fait l'objet de plusieurs complots. Pourtant, une seule conspiration a pu être établie précisément : en 78 ou 79, Eprius Marcellus et Aulus Caecina Alienus tentent de tuer Vespasien, sans que leur mobile nous soit connu. De fait, Vespasien meurt de sa belle mort : malade, il se retire dans sa résidence d'été d'Aquae Cutiliae, dans sa région natale de Réate. Mais un bain d'eau froide aggrave son état et, sentant sa fin proche, il ironise sur la divinisation dont font l'objet les empereurs défunts : "Vae, puto deus fio !" (Malheur ! Je crois que je deviens dieu !) Le 23 juin 79, il est pris de très violents dérangements gastriques :

"Il n'en vaquait pas moins aux soins de son empire, et donnait même des audiences dans son lit. Mais, saisi tout à coup d'une diarrhée qui l'épuisait: "Il faut, dit-il, qu'un empereur meure debout" et, tandis qu'il faisait un effort pour se lever, il expira entre les bras de ceux qui l'assistaient, le neuvième jour avant les calendes de juillet, âgé de soixante-neuf ans, un mois et sept jours. " (Suétone, "Vie De Vespasien", XXIV)
Selon ses vœux, son fils Titus lui succède : c'est la première fois dans l'Histoire de Rome que le pouvoir se transmet de père en fils.

L'Empereur Titus.

                                        S'il faut faire la part des choses et si les panégyriques rédigés par les auteurs contemporains sont à prendre avec précaution pour les raisons évoquées, il n'en demeure pas moins que Vespasien était l'homme de la situation, lorsqu'il s'est agi de rétablir la paix dans l'Empire romain après la crise de 68. Empereur d'un genre nouveau, d'origine modeste mais doté d'une solide expérience militaire et d'une bonne connaissance des provinces, cet homme pragmatique et bon gestionnaire sut prendre les mesures nécessaires pour redresser un État que la politique dispendieuse de Néron et les guerres civiles de l'année des quatre empereurs avaient fragilisé, lui assurant des bases plus solides. Et il faut bien reconnaître que le règne de Vespasien fut l'un des moins sanglants : on le qualifie souvent de radin, mais valait-il moins qu'un Néron ou un Caligula, qui avaient vidé le trésor et faient périr nombres de Sénateurs pour s'approprier leurs biens ?
"Le seul reproche qu'on lui fasse avec raison, c'est d'avoir aimé l'argent. En effet, non content d'avoir rétabli les impôts abolis sous Galba, d'en avoir ajouté de nouveaux et de plus lourds, d'avoir augmenté et quelquefois doublé les tributs des provinces, il fit des négoces honteux même pour un particulier, achetant des marchandises pour en tirer profit plus tard. (...) Selon d'autres, c'était un effet de la nécessité. Le trésor et le fisc étaient si pauvres, que Vespasien fut obligé de recourir au pillage et à la rapine; et c'est ce qui lui fit déclarer à son avènement au trône, que l'État avait besoin de quatre milliards de sesterces pour subsister. Cette dernière opinion paraît d'autant plus vraisemblable, que Vespasien faisait un excellent emploi de ce qu'il avait mal acquis." (Suétone, "Vie De Vespasien", XIV)

Vespasien. (Reconstitution www.deomercurio.be - d'après une photo wikipedia de Shakko, CC - BY/SA)

                                        Alors, sans être une inconditionnelle de Vespasien, je ne pouvais décemment pas résumer ce brave homme, dans votre esprit, à l'inspirateur des vespasiennes ! Non, vraiment : voilà qui aurait été trop injuste.





dimanche 3 mars 2013

Où L'on Répond Aux Questions Des Internautes.

                                        Je tiens ce blog depuis un an, et je ne m'en lasse pas. D'abord, parce qu'il me permet de parler de l'antiquité romaine tout en épargnant mes proches qui, à mon grand désarroi, ont parfois d'autres sujets de conversation que le règne de Tibère, la conversion de Constantin ou les œuvres de Cicéron ; mais aussi et surtout parce qu'il m'a offert l'opportunité de dialoguer et d'échanger avec d'autres passionnés - professionnels ou amateurs comme moi - et avec des internautes aux connaissances plus restreintes mais intéressés par le sujet. J'envoie des courriels, et j'en reçois aussi quelques-uns - auxquels je mets un point d'honneur à répondre. Tous ces messages sont extrêmement sympathiques, me félicitent et / ou m'encouragent, m'apportent parfois des corrections ou des précisions bienvenues. Et, de temps en temps, on me pose des questions. A ma petite échelle et avec mon modeste savoir (et à l'aide de livres, articles, etc.), je tente d'y répondre au mieux. Cependant, certaines interrogations sont revenues à plusieurs reprises, raison pour laquelle j'ai décidé de leur accorder quelques lignes. J'ai donc sélectionné les plus fréquentes, bien que la plupart me concernent directement, et n'apportent aucune information intéressante quant à l'Histoire romaine ! Mais puisque certains ont voulu savoir...


QUEL EST VOTRE EMPEREUR PRÉFÉRÉ ? VOTRE PERSONNAGE PRÉFÉRÉ DANS L'HISTOIRE ROMAINE ?

 

L'Empereur Tibère (Musée du Louvre.)

                                         J'ai déjà eu l'occasion de répondre à cette question au cours de divers articles, mais c'est avec une grande joie que je saute sur l'occasion qui m'est offerte de clamer à nouveau, haut et fort, mon amour immodéré pour Tibère ! Je sais bien que le deuxième Empereur de Rome n'a pas bonne presse - quoique plusieurs historiens aient tenté, ces dernières années, de le réhabiliter. La faute en incombe en premier lieu à ce détraqué de Suétone, et aux tombereaux d'insanités qu'il a déversé sur ses 12 Césars en général, et sur Tibère en particulier. Or, cet homme mérite nettement mieux ! En dépit des dérives des procès en lèse-majesté et de l'affaire Séjan (voir ici), Tibère a été un excellent gestionnaire, menant une politique extérieure particulièrement habile. Et puis, c'est à lui que revient le mérite d'avoir pérennisé l'Empire, qui a pu survivre à Auguste grâce à lui. Intelligent, il a de surcroît fait preuve d'une modestie et d'une réserve admirables. Malheureusement, cette réserve et un caractère méfiant voire ombrageux l'ont rendu impopulaire... et paradoxalement, c'est ce qui me le rend si cher ! Dépressif, vivant en reclus, pris de véritables crises de panique lorsqu'il doit rentrer à Rome, Tibère a tout du phobique social, et je suis très sensible à cette personnalité sombre et solitaire. Toute sa vie a quelque chose de tragique. J'aime sa culture, son habileté, son humour (car il en a ! Un humour acide, j'en conviens, mais que j'adore !), son orgueil, mais aussi toutes les turpitudes et les faiblesses qui font de lui un être si complexe et donc, si attachant. Vous l'aurez compris : je suis la fan n°1 de Tibère ! Ne me lancez jamais sur le sujet, à moins d'avoir plusieurs heures devant vous...


Portrait de Julien l'Apostat.
Du coup, je fais la même réponse à la seconde partie de la question. Cependant, si l'on considère que Tibère est hors concours, je pourrais citer Marc Antoine (j'ai un faible pour les personnages flamboyants, qui ont tout pour eux et foncent pourtant droit dans le mur, et encore en klaxonnant !), Julien l'Apostat (C'est à cause de Gore Vidal), ou bien Brutus. Voilà encore un grand torturé, en proie à un dilemme moral cornélien et à des interrogations philosophiques sans fin. Si mes préférences en disent long sur moi, je crois que je suis mûre pour consulter un psy ! Enfin, je pense que je serais certainement séduite par ce bon vieux Marc Aurèle, si je me penchais davantage sur son règne. Ses "Pensées Pour Moi-Même" m'ont déjà fortement impressionnée - et un Empereur philosophe, c'est quand même la classe !  




QUI A ÉTÉ LE MEILLEUR EMPEREUR ?


                                        Il n'est jamais facile de porter un tel jugement : l'action des hommes d'état romains a forcément été différente selon le contexte dans lequel s'est inscrit leur règne, et l'on reste souvent marqué par les écrits, jamais neutres, des auteurs de l'époque, souvent hagiographes du parti sénatorial et, à ce titre, enclins à plébisciter des hommes comme Trajan ou Hadrien et vouer aux gémonies ceux qui les ont précédés. Pour reprendre l'exemple de Suétone (à qui j'en veux particulièrement aujourd'hui), il nous a laissé une chronique des règnes des "12 Césars" (De César à Domitien) terrifiante, les dépeignant comme des sadiques - obsédés - dégénérés avides de pouvoir, le suivant étant toujours pire que le précédent ! Or, Suétone était issue de la classe sénatoriale, dont les prérogatives ont tant eu à souffrir de la politique de ces Empereurs, et il écrivait à l'époque d'Hadrien : difficile, dès lors, de débiner la dynastie en place - d'autant plus qu'il n'avait aucune raison de le faire, les Antonins composant davantage avec la noble assemblée ! Donc, mieux vaut ne pas se fier aveuglément à ce genre de textes.


L'Empereur Trajan.

                                        On considère généralement le IIème siècle comme celui de l'apogée de l'Empire romain : d'une part, parce qu'il atteint à cette époque son étendue maximale, mais d'autre part parce que règnent alors successivement ceux que l'on nomme souvent les "Cinq Bons Empereurs" - à savoir Nerva, Trajan, Hadrien, Antonin le Pieux et Marc Aurèle. La crème de la crème, le top of the top ! Et, lorsqu'on se penche sur nos cinq larrons, il faut bien admettre qu'ils n'ont pas démérité, malgré bien des défauts :
  • Nerva a redressé les finances après le règne de Domitien, et a mis fin à l'absolutimse de son prédécesseur. Fondateur de la dynastie des Antonins, il n'a régné que brièvement.
  • Trajan a porté l'Empire au maximum de son extension, et c'était un grand batisseur et un bon gestionnaire - bien qu'au final, sa guerre contre les Parthes se soit soldée par un échec.
  • Hadrien a su consolider les conquêtes de son prédécesseur, renforcer les frontières et réformer les institutions - mais c'était un sacré mégalo, pompeux et vaniteux !
  • Antonin a poursuivi l'oeuvre d'Hadrien et l'Empire n'a connu aucune guerre ou révolte majeure sous son règne - mais sa politique défensive et attentiste sur le plan extérieure me semble désastreuse sur le long terme.
  • Marc Aurèle fut un grand administrateur et un bon général malgré son peu d'expérience - mais il a tout fichu en l'air en nommant Commode comme héritier. Et un bon philosophe ne fait pas forcément un bon Empereur !
Auguste. (Musée du Louvre.)

                                        La plupart du temps donc, l'heureux élu fait partie de ce club des cinq - et la palme est généralement décernée à Trajan ou Hadrien. Mouais : au risque de faire hurler les spécialistes, je ne suis pas convaincue... Et puisque c'est à moi qu'on demande, je me mouille ! Et après bien des hésitations, j'opte pour Auguste. Pourquoi aller chercher plus loin ? Fondateur d'un régime - certes initié par Jules César mais qu'il sut institutionnaliser avec la finesse politique que l'on connaît - qui lui a survécu près de 5 siècles, il mit fin à une longue période de guerres civiles, parvint à conserver les territoires acquis et à en conquérir de nouveaux, et rétablit la prospérité. Tout cela lui vaut largement, à mes yeux, la médaille d'or.

                                        Mais j'ai précisé que j'avais longuement hésité, considérant par exemple qu'Aurélien avait remarquablement redressé l'Empire, tant par ses victoires militaires (face à la Reine de Palmyre, notamment) que par une série de réformes nécessaires - le tout en seulement cinq ans, et dans un contexte particulièrement défavorable. Au fond, le choix est délicat car de nombreux empereurs se sont montrés compétents à des degrés divers, en fonction de ce que les circonstances exigeaient d'eux : Claude, malgré tous ses défauts et son manque total d'expérience militaire, fut un grand empereur ; Vespasien fit montre de grandes qualités de gestionnaire au lendemain du règne de Néron, etc.

                                        Pour conclure, je signalerai que la conception même du "Bon Empereur" dépend en grande partie de l'époque : alors qu'auparavant, on mettait en avant les qualités militaires, on a davantage tendance aujourd'hui à plébisciter des dirigeants sages, bon gestionnaires et faisant preuve d'humanisme. Sans compter qu'entre forcément en jeu une part de subjectivité. Cela dit, vous aurez noté que je ne vous ai pas sorti mon cher Tibère de mon chapeau - même si l'envie ne m'en manquait pas !

COMMENT VOUS EST VENUE CETTE PASSION POUR L’ANTIQUITÉ ROMAINE ?

 

Paul Bastide.
Sans doute la question qu'on me pose le plus souvent, bien que j'aie esquissé un début de réponse dans le billet inaugural de ce blog. Déjà, le terrain était favorable : j'ai toujours été intéressée par l'Histoire en général. Cependant, mon premier lien avec l'Antiquité renvoie à la Grèce puisque, aujourd'hui encore, je garde un souvenir ému d'un livre que, enfant, je ne cessais de lire : une version simplifiée et illustrée de" l'Odyssée". (J'ai encore en tête le dessin de Polyphème, et celui d'Ulysse attaché au mât de son navire, au large du rocher des sirènes.) Ensuite, bon sang ne saurait mentir : mon arrière-arrière-grand-père Paul Bastide, compositeur et chef d'orchestre, a écrit de nombreuses œuvres directement inspirées de l'Antiquité - "Œdipe Roi", "Médée", ou encore un "Heliodora" tiré d'un poème de Méléagre. Le terrain était donc fertile. Mais le vrai déclic est venu de la série télévisée "Rome" - et d'après les messages reçus, nous sommes nombreux dans ce cas ! Cette remarquable série m'a donné envie de réviser mes connaissances, puis de les approfondir. Le reste tient à mon caractère obsessionnel : je suis passée d'un livre à l'autre, d'un article à un film, d'un film à un autre livre, etc. A chaque fois, je me pose de nouvelles questions, j'ai envie d'étudier d'autres sujets, de confronter divers points de vue, et ma curiosité n'est jamais assouvie. Reste un mystère, même pour moi : pourquoi la Rome antique ?!? Voilà une nouvelle motivation à aller m'allonger sur le divan d'un psy.

POUVEZ-VOUS ME CONSEILLER UN LIVRE SUR LA ROME ANTIQUE ?


                                        Je dois bien pouvoir vous trouver ça dans les 3892 ouvrages (à vue de nez) consacrés au sujet dans ma bibliothèque. Cette demande émane principalement d'internautes qui commencent à s'intéresser à l'Antiquité romaine, et je pars donc du principe que nous cherchons un livre accessible, qui résume un peu l'ensemble des connaissances, sans être pour autant rébarbatif. Réjouissez-vous, antiquisants novices ! J'ai ce qu'il vous faut : "La Rome Antique Pour Les Nuls". Ne soyez pas vexés par la précision "pour les nuls" : je peux vous assurer que le volume (460 pages tout de même !) convient aussi bien aux débutants qu'à ceux qui en connaissent déjà un rayon, et qui y trouveront un excellent condensé de la culture, de la société et de l'Histoire romaine. De plus, l'ouvrage est amusant, sérieux mais pas austère, et propose de nombreuses pistes pour poursuivre la découverte. Évidemment, il présente certaines lacunes et raccourcis, mais il me semble idéal pour s'initier.


                                        Si l'épaisseur du volume vous refroidit, je peux également vous proposer "Histoire Romaine" chez Librio, qui embrasse toute l'histoire de Rome, depuis sa fondation jusqu'à sa chute. Un petit fascicule très instructif et très complet, à un prix défiant toute concurrence. On regrettera simplement l'absence de quelques lignes consacrées à la religion, la littérature, etc.

                                        Deux ouvrages à part pour terminer : d'abord, le "Guide Romain Antique" des éditions Hachette. C'est le premier livre que j'ai parcouru : sorte de guide pour voyageur spatio-temporel, il aborde absolument tous les sujets (art, culture, société, armée, institutions, religion, politique) au cours de la République, du Bas et du Haut-Empire. Sa forme, originale, le rend très amusant à consulter - bien que le contenu soit parfois "pointu". Et enfin, "Les Romains" dans la collection "Le Journal de L’Histoire". En théorie, un livre destiné aux enfants, mais que j'ai adoré ! Chaque page reprend l'un des grands évènements, relatant faits historiques et anecdotes à la manière d'un article de quotidien. Cette présentation attractive et vivante va a l'essentiel, avec concision et esprit de synthèse. Et les illustrations sont formidables.


QUELLES SONT VOS ŒUVRES DE FICTION PRÉFÉRÉES ?


                                        Bon, je présume que l'on parle toujours d'Antiquité romaine ?! Dans ce cas, on n'est pas sortis du sable... Parce que le terme de "fiction" regroupe quand même pas mal de domaines, du roman à la BD en passant par les films, les séries TV, les opéras, etc. N'étant guère familière du 8ème art (excepté les Astérix et les Alix, pour lesquels vous n'avez vraisemblablement pas besoin de mes recommandations), je me cantonnerai aux autres genres cités. J'ai bien sûr exclu les biographies et les essais, et je n'aborderai pas ici la littérature antique puisqu'il va sans dire que je ne peux que vous encourager à lire Ovide, Virgile ou encore Pétrone. Par ailleurs, je tiens à rappeler qu'il s'agit ici de mes préférences personnelles, ce qui implique que, outre la qualité que l’œuvre revêt à mes yeux, entre également en ligne de compte une bonne part d'affect. "Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point", comme dirait l'autre : à titre d'exemple, je vous échange tout Mozart contre le deuxième mouvement du quatuor en ut mineur de Chostakovitch... 

Commençons par les romans. Je pense en premier lieu à "Quo Vadis" d'Henryk Sienkiewicz, qu'on ne présente plus : les amours de la Chrétienne Lygie et du Romain Glaucus, sur fond de tyrannie néronienne, d'incendie et de persécutions. Plus récent, "La Dernière Légion" de Valerio Manfredi imagine la fuite de Romulus Augustule, le dernier César, aidés de ses derniers fidèles, qui tente d'échapper aux barbares après la chute de Rome. Avec un dénouement inattendu et qui m'a... enchantée ! (Jeux de mots que vous comprendrez en lisant le roman.) Toujours dans le domaine de la fiction pure, l'excellente série de romans policiers de Cristina Rodriguez, mettant en scène Kaeso Le Prétorien - voir ici pour plus de détails. Mais les deux ouvrages que je préfère, et que je ne me lasse pas de lire et relire, sont des romans finalement très proches de la réalité historiques : "Julien" de Gore Vidal, et la trilogie de Robert Graves sur l'Empereur Claude ("Moi Claude, Empereur" ; "Claude, Empereur Malgré Lui" et "Le Divin Claude et Sa Femme Messaline")
Les deux œuvres ont en commun l'exactitude historique, l'érudition, la subtilité, et pourtant une écriture fluide et agréable, et un sens de l'intrigue qui tient le lecteur en haleine de la première à la dernière page. Le premier relate le règne de Julien l'Apostat, le second la vie de Claude. Dans un autre style, plus romancé mais toujours bien documenté, la saga des "Dames de Rome" de Françoise Chandernagor est remarquable : elle s'attache au destin de Séléné, la fille de Marc-Antoine et Cléopâtre. Deux tomes parus à ce jour : "Les Enfants d'Alexandrie" suit l'idylle de ces deux grands personnages, jusqu'à la défaite d'Actium, et on retrouve Séléné à Rome, élevée par Octavie dans "Les Dames De Rome", où elle côtoie Julie, Livie, Tibère, Mécène, Auguste, etc. Une œuvre assez personnelle, qui laisse voir autant le travail de la romancière que le sujet historique. Enfin, je ne peux faire l'impasse sur Shakespeare, et en particulier sur "Jules César" et "Antoine et Cléopâtre"...


En ce qui concerne les films, en tant que grande amatrice de péplums, je n'ai que l'embarras du choix. Ma préférence personnelle me porte vers les grands classiques : évidemment "Ben Hur" de William Wyler avec Charlton Heston (bizarrement, moins pour la course de char que pour la mise en parallèle des destinées du Christ et du héros, et le cheminement personnel de ce dernier) ; "Cléopâtre" de Mankiewicz avec Elizabeth Taylor,  qui reste un monument du cinéma (à voir au moins une fois, ne serait-ce que pour son aspect spectaculaire) ; ou encore "Spartacus" de S. Kubric avec Kirk Douglas (encore un incontournable). Cependant, mes trois préférés restent, dans l'ordre : "Jules César", encore de Mankiewicz - remarquable adaptation de la pièce de Shakespeare avec Marlon Brando dans le rôle de Marc Antoine ; "La Chute de L'Empire Romain" d'A. Mann, chef d’œuvre qui clôt l'age d'or du péplum, et surtout... "Quo Vadis" de M. Le Roy, tiré du livre éponyme. Adaptation fidèle, formidable interprétation de Peter Ustinov en Néron despotique et illuminé, et atavisme familial (mon grand-père adorait ce film).

Pour poursuivre dans la même veine, je citerai aussi quelques séries TV. Grande fan du genre, il va de soi que si en plus, on y parle de Rome, je suis rapidement accro ! Deux excellentes productions, tout d'abord : "Rome" qu'on ne présente plus (avec Kevin McKidd et James Purefoy) et "Moi Claude, Empereur" (Derek Jacobi dans le rôle titre) d'après l'ouvrage de Robert Graves évoqué plus haut. Celle-ci est absolument fantastique, et je la préfère peut-être même à "Rome" : d'abord parce qu'on y voit Tibère (excellent George Baker), et ensuite parce que je ne me suis toujours pas remise de la prestation de John Hurt en Caligula ! Il est plus crédible et plus flippant encore que Malcolm McDowell dans le film de Tinto Brass - ce qui n'est pas peu dire ! J'ai également découvert récemment "Massada", qui retrace la chute de la citadelle juive (avec Peter O'Toole et Peter Strauss )- téléfilm en 4 épisodes, palpitant du début à la fin. Enfin, un ovni dans mon panthéon personnel : "Kaamelott", de et avec Alexandre Astier. Je concède qu'on y parle davantage de la Bretagne que de Rome (tout de même présente, notamment dans l'ultime saison, et le reste du temps par l'entremise du centurion Caius alias Bruno Salomone), mais cette série ne présente-t-elle par le Roi Arthur comme un dux bellorum envoyé par l'Empire afin de fédérer les tribus bretonnes ?! Bon, je l'admets : c'est surtout un bon prétexte pour évoquer brièvement cette série que j'adore, parce qu'elle est drôle, intelligente, bien écrite et bien jouée... Mais quand vous vous serez à moitié étranglé de rire en regardant les premiers épisodes, vous ne pourrez plus m'en vouloir, et vous comprendrez pourquoi je suis une fan !




A. Astier, alias le Roi Arthur de Kaamelott. (source http://lefandekaamelott.e-monsite.com )
                                    
                                        Bien : voilà qui devrait vous occuper un moment ! Et entre deux lectures ou deux visionnages, n'hésitez pas à repasser par ici et  me laisser d'autres commentaires, messages ou questions : je vous lirai et vous répondrai avec plaisir !

 

RÉFÉRENCES DES ŒUVRES CITÉES.


LIVRES :

"La Rome Antique Pour Les Nuls" - First Éditions - 23 € env.
"Histoire Romaine" de Bernard Klein - Librio - 2€. 
"Guide Romain Antique" de G. Hacquard, J. Dautry et O. Maisaini - Hachette, coll. Roma - 10 € env. 
"Les Romains" - Milan Jeunesse, coll. Le Journal de L'Histoire - 14 € env.

ROMANS :

"Quo Vadis" de Henryk Sienkiewicz - en poche chez GF Flammarion.
"La Dernière Légion" de Valerio Manfredi - en poche chez Pocket.
 Kaeso Le Prétorien  : "Les Mystères de Pompéi" et "Meurtres Sur Le Palatin" de Cristina Rodriguez. - en poche chez Le Masque ; "L'Aphrodite Profanée" du même auteur, en grand format chez le même éditeur.
"Julien" de Gore Vidal - en poche chez Points, coll. Grands Romans.
"Moi Claude, Empereur" - "Claude, Empereur Malgré Lui" - "Le Divin Claude et Sa Femme Messaline" de Robert Graves - chez Gallimard, coll. Monde Entier. (Mais à chercher d'occasion, car épuisés.)
 "Les Enfants d'Alexandrie" et "Les Dames De Rome" de Françoise Chandernagor - chez Albin Michel.
"Jules César" et "Antoine et Cléopâtre" de William Shakespeare - en poche chez respectivement Gallimard et GF Flammarion.


DVDs :

"Ben Hur" de William Wyler chez Warner Bros.
 "Cléopâtre" de Joseph Mankiewicz chez 20th Century Fox.
  "Spartacus" de Stanley Kubric chez Universal Pictures.
"Jules César" de Joseph Mankiewicz chez Collection FNAC.
"La Chute de L'Empire Romain" d'Anthony Mann, chez Studio Opening.
"Quo Vadis" de M. Le Roy, chez Warner Bros.


"Rome"  chez Warner Bros. - 2 saisons, disponibles en coffret. 
"Moi Claude, Empereur" chez Studio Atlantic - 1 saison.
"Massada" chez Koba Films.
"Kaamelott" chez M6 Vidéo - 6 saisons.