dimanche 8 septembre 2013

Interview : Kate Quinn, auteur de "L'Impératrice Des Sept Collines".


                                        Mon article précédent était consacré à "L'Impératrice Des Sept Collines", le dernier roman de Kate Quinn traduit en France, paru aux éditions Presses de La Cité. En conclusion, je vous avais promis une petite surprise... Et bien, pour achever cet été en beauté et attaquer la rentrée du bon pied, je vous propose aujourd'hui une interview exclusive de l'auteur. Et je n'en suis pas peu fière. Écrivain à succès, sollicitée par de nombreux médias, elle a eu l'immense gentillesse d'accepter de répondre à quelques questions. L'occasion de découvrir une femme à l'image de ses livres : intelligente et passionnée, elle dévoile avec générosité, humour et simplicité les mystères de la création littéraire et de la naissance d'un roman historique.  Reconnaissante du temps qu'elle a bien voulu m'accorder, c'est avec un grand plaisir que je publie cette interview.

Pour commencer, parlez-nous un peu de vous : comment êtes-vous devenue écrivain, et d'où vous vient cet intérêt pour l'Antiquité romaine ?
J'écris des histoires depuis que j'ai sept ans - la première était un manuscrit de deux pages sur le meurtre d’Édouard II, croyez-le ou non. (J'avais découvert l'histoire dans un livre de poupées de papier, "Rois et Reines d'Angleterre", les détails sanglants en moins !) J'ai fini mon premier livre à l'âge de dix ans, un conte absolument affligeant sur une bohémienne dans l'Irlande médiévale, avec des poneys et des procès en sorcellerie, et je n'ai plus arrêté après ça - j'ai toujours eu un projet en cours. Quant à la Rome antique, elle me fascine depuis qu'enfant, je regardais les vidéos de "Moi Claude, Empereur" de ma mère, alors que j'étais bien trop jeune, et je protestais vigoureusement chaque fois que l'on me faisait sortir du salon lors des passages "gore".

Vos romans sont très documentés. Comment travaillez-vous ? Lisez-vous des essais, biographies, etc. ? Comment réunissez-vous toute cette matière première ?
Steve Berry a dit un jour "Je ne suis pas historien ; je suis juste un type qui a lu 400 livres sur le sujet." Je fais de même - je lis autant que je peux, sur des sujets aussi divers que possibles, et je passe au crible les faits car je lis toujours en me demandant ce que je pourrais réutiliser dans un livre.

Vos histoires se déroulent sous les règnes de Domitien, Trajan ou Hadrien. Quand d'autres romanciers écrivent plutôt sur César, Néron ou Caligula, pourquoi avoir choisi cette période particulière ?
Justement parce que ces Empereurs sont beaucoup moins connus ! Ils ont réalisé de grandes choses - Rome sous Trajan et Hadrien a connu un âge d'or en terme d'expansion et de culture - et pourtant ils sont beaucoup moins connus que les premiers Empereurs. J'aime explorer de nouveaux territoires ; il y a moins d'idées préconçues.

Comment trouvez-vous votre intrigue ? Vient-elle d'une image, une phrase, une situation ?
Des livres, des films, une note de bas de page parcellaire dans un livre d'Histoire - tout peut être une inspiration. Je n'ai aucune idée de ce qui va m'accrocher ou faire retentir un petit carillon dans ma tête : "Ça pourrait faire un bon livre..."



Kate Quinn. (Photo de son site internet.)

Vos lecteurs suivent des personnages fictifs dans les pas de figures historiques, au cours des grands évènements de l'histoire de l'Empire. Cette construction évoque celle de la série "Rome", les deux héros suivant César, Octave et Marc Antoine, tout en vivant leur propre vie. D'après vous, qu'est-ce que ce point de vue particulier apporte à l'histoire ?
Ce que je trouve le plus intéressant dans le fait de créer des personnages ou d'utiliser des noms / personnes demeurés dans l'ombre et sur qui on sait peu de choses, c'est que j'ai beaucoup plus de liberté pour construire mon histoire. Mes personnages ont en effet tendance à suivre les grandes figures historiques au fur et à mesure qu'elles vagabondent à travers les pages de l'Histoire, mais j'ai toujours été intéressée par les gens qui observent les jeux de pouvoir, pas seulement par ceux qui en sont au cœur.

Vous fixez-vous des limites dans le mélange entre fiction et Histoire ? Comment décidez-vous ce qui, du roman ou de l'évènement réel, est le plus important ?
Je suis romancière et pas historienne, donc je crois pouvoir m'accorder une certaine latitude et changer des faits historiques pour qu'ils cadrent avec mon histoire. Après tout, mon premier travail c'est de raconter une bonne histoire. Mais j'essaie de faire le minimum de changements. Je change de petites choses, pas des faits majeurs, et je le signale toujours dans mes notes en fin de livre.

Selon vous, qui est le héros de "L'Impératrice des Sept Collines" ? Le titre renvoie à Sabine, qui ne devient Impératrice que dans les dernières pages, mais Vix est le seul à parler à la première personne et on suit aussi Titus... Y a-t-il vraiment un héros, ou tous les personnages font-ils partie d'un ensemble qui les dépasse ?
A l'origine, le livre s'intitulait "Les Fils de Rome", ce qui correspondait parfaitement à Vix, Titus, Hadrien et Trajan. Mais les titres féminins ont plus de succès puisque les femmes forment le plus gros du lectorat des romans historiques, donc on a choisi "L'Impératrice Des Sept Collines". Techniquement parlant, le titre pourrait s'appliquer à Plotine puis à Sabine - mais je vois Vix, Titus et Sabine comme les vrais héros du livre. Ensemble, ils donnent l'image la plus complète possible de l’époque dans laquelle ils vivent. Quant aux voix, tout dépend de la façon dont je les "entends". Vix a littéralement fait irruption dans ma tête à la première personne, mais les autres étaient plus difficiles à saisir. Surtout Sabine !

Les personnages féminins sont très importants, et toutes les femmes de vos livres sont fortes et déterminées - une chose que l'on voit assez rarement, exceptions faites de Cléopâtre et Agrippine. Pensez-vous qu'être une femme vous a conduit à explorer cette dimension ? Vous est-il plus facile d'écrire d'un point de vue féminin ?

Je n'ai jamais eu de difficulté à écrire d'une point de vue masculin - j'aime utiliser les deux. L'un de mes meilleurs amis, C.W. Gortner, a écrit entre autres "The Confessions of Catherine de Medici" et "The Last Queen" ["Les Confessions de Catherine de Médicis" et "La Dernière Reine", non traduits], et il écrit brillamment du point de vue féminin. Je pense qu'il s'agit d'examiner les différences entre les deux sexes et il faut ensuite être capable de ressentir ces différences en écrivant.


J'ai adoré votre premier roman, mais je trouve que le deuxième est encore meilleur. Il y a une vraie évolution dans votre écriture, ainsi que dans les personnages : ils sont plus subtils, moins manichéens. Vix, par exemple, n'est pas très sympathique au début, mais on apprend à le connaître au fil du livre et même à l'apprécier. Avez-vous ressenti cette amélioration dans votre écriture ? Etait-ce volontaire ou est-ce venu naturellement ?
Ce que j'évite, c'est la tentation d'écrire le même livre encore et encore. Au départ, j'avais l'idée d'une histoire bien plus traditionnelle pour Vix et Sabine - ils devaient former un couple beaucoup plus paisible avec la traditionnelle fin heureuse, davantage comme Arius et Théa dans "La Maîtresse de Rome". Mais ça ne m'intéressait pas tellement, parce que ce ne sont pas les mêmes personnages qu'Arius et Théa. Ils ont une relation beaucoup plus compliquée et tumultueuse, et cela a créé une histoire totalement différente. Et oui, ce sont probablement des personnages plus subtils - les deux livres ont été publiés à trois ans d'intervalle [un an en France], mais ils ont été écrits à dix ans d'intervalle. J'espère être devenue un écrivain plus habile au cours de ces 10 années !

En parlant des personnages, vous êtes plutôt dûre avec Hadrien et Plotine ! Vous dites avoir voulu explorer une autre facette de leurs caractères. Est-ce la seule raison ? Avez-vous quelque chose contre eux ? 
Je dois l'admettre, je suis très injuste envers Plotine. La Plotine historique semble avoir été une femme très sympathique, qui est restée éloignée de la politique - mais elle a bien poussé Hadrien à la tête de l'Empire, avec son petit spectacle de marionnette sur le lit de mort de Trajan. (Ces détails viennent de rumeurs de l'époque), donc à partir de ce seul élément, j'ai décidé que je pouvais la rendre un peu plus machiavélique. Quant à Hadrien, c'était une personne contradictoire dans la vraie vie, donc qui sait si ma version est moins réaliste que celle des autres ? Au départ, je voulais le décrire comme le type de l'Empereur direct et héroïque, comme Trajan, mais les faits ne m'y autorisaient tout simplement pas. La meilleure description que j'aie trouvée de lui, dans "Histoire Auguste", dit "il pourrait être avare et généreux, fourbe et simple, cruel et miséricordieux, et toujours changeant en toutes choses."  Comment gérer un personnage tel que celui-là ? Je ne pense pas que quiconque ait jamais cerné Hadrien, pas complètement. J'espère que dans la suite de "L'Impératrice Des Sept Collines", je pourrais explorer les aspects les plus doux de sa nature - c'est au cours de cette période qu'il a été si profondément amoureux, après tout.

Après plusieurs romans se déroulant dans la Rome antique, avec les mêmes personnages ou leurs enfants, aimez-vous toujours écrire à leur sujet ? Souhaiteriez-vous écrire sur d'autres périodes, ou même un roman contemporain ?
L'Histoire est ma grande passion, et je ne m'imagine pas écrire un roman contemporain - même si je les apprécie, comme des "trous normands" entre tous mes trucs historiques.  J'ai effectivement été un peu lassée par l'antiquité romaine après avoir écrit plusieurs romans à la suite, et mon prochain livre se déroule pendant la Renaissance italienne - il s'intitule "The Serpent and the Pearl: a novel of the Borgias."  ["Le Serpent et La Perle : un roman  sur les Borgia"]. Il sort en Août aux États-Unis et il va être publié en France, bien que je ne sache pas exactement quand. Et je projette aussi d'achever l'histoire de Vix et Sabine - je travaille sur ce livre actuellement, et il s’appellera "Lady Of The Eternal City" ["La Dame de La Ville Éternelle".]


"The Serpent And The Pearl", sorti ce mois-ci aux États-Unis.




Quelle part de vous-même mettez-vous dans vos personnages ? Vous projetez-vous en eux ?
Je suppose que tous mes personnages ont un peu de moi en eux. L'envie de voyager de Sabine vient de moi, tout comme sa tendance à détourner la conversation quand elle n'a pas envie de parler. Et une grande part de Vix vient de mon mari, qui est aussi un soldat gaucher et colérique, avec des tâches de rousseur, une aversion pour les chevaux, et qui a l'habitude d'emmerder ses officiers supérieurs !  Mon mari été déployé pendant que je terminais "L'Impératrice Des Sept Collines", et écrire sur Vix était une manière de passer du temps avec lui.

Les fictions historiques sont très populaires - séries TV, films, livres, BDs, mangas, etc. Comment l'expliquez-vous ?
Les fictions historiques passent par des cycles, comme tout le reste. L'engouement pour les Tudors depuis un certain temps vient de la popularité de Philippa Gregory [Auteur du roman ayant inspiré le film "Deux Sœurs Pour Un Roi".], et la série de Showtime n'a pas nui non plus. L'antiquité romaine est devenue populaire avec le film "Gladiator," s'est démodée pendant un temps, et a fait un retour en force avec la série de HBO "Rome" et "Spartacus: Le Sang Des Gladiateurs."  Qui sait ce qui nous attend maintenant ?

Une dernière question pour conclure : la plupart des passionnés d'Histoire ont un personnage favori. Y a t-t-il une personnalité historique que vous admirez particulièrement ?
J'adore totalement Elizabeth Ière - enfant, j'ai passé des années à faire semblant d'être elle. Mais je ne suis pas certaine d'écrire un livre à son sujet, à moins de trouver quelque chose d'unique et de différent à raconter - on a déjà tellement écrit à son sujet !


                                        Pour ma part, je n'ai aucun doute sur la capacité de Kate Quinn a trouver le bon angle, la bonne perspective pour aborder le règne de celle que l'on surnommait la Reine Vierge. Mais en attendant, ce sera un plaisir que de patienter en compagnie des Borgia, et surtout de retrouver Vix, Sabine et les autres pour la conclusion de "L'Impératrice Des Sept Collines". J'en trépigne déjà !

                                        A nouveau, tous mes remerciements à Kate Quinn, que vous pouvez retrouver sur son site : http://www.katequinnauthor.com/

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