mercredi 30 octobre 2013

Apiculture Dans La Rome Antique.

                                        Pour mes amis et mes connaissances, je suis devenue une sorte d'encyclopédie vivante de la Rome antique. C'est-à-dire que, dès qu'une question quelconque sur le sujet les effleure, c'est à moi qu'ils viennent la poser puisque je suis incollable et que je sais absolument tout. Du moins le supposent-ils, à moins que l'idée que je puisse ignorer quoi que ce soit sur les Romains ne leur viennent tout simplement pas à l'esprit... Comme je ne veux pas casser le mythe ni décevoir mes proches, je me lance donc dans des recherches, je compulse frénétiquement les ouvrages de référence, j'en appelle aux auteurs antiques. Or, voilà que l'on vient de m'interroger sur l'apiculture à Rome ! Et c'est ainsi que je me suis embarquée dans un billet sur ce thème que, je l'avoue, je n'avais pas pensé à évoquer.

MYTHOLOGIE ET APICULTURE A ROME.


                                        L'apiculture, donc. Il faut remonter bien loin dans le temps pour en retrouver les origines - bien avant l'antiquité romaine en tous cas. Les Phéniciens, les Égyptiens, les Étrusques, les Grecs : tous ont élevé des abeilles dans le but de produire du miel. Il semble en fait que l'apiculture soit un des premiers élevages pratiqué par l'homme, et la mythologie en garde une trace flagrante. On songe bien sûr à Éros / Cupidon, dont on dit qu'il trempait ses flèches dans du miel, afin de remplir de douceur le cœur de ses victimes, ou à Dionysos / Bacchus à qui Ovide attribue la découverte du précieux nectar.

"La Découverte Du Miel Par Bacchus" (Huile de Pierro Di Cosimo.)

                                        Mais se détache surtout la figure d'Aristée, héros de la mythologie grecque. Son culte, lié à l'agriculture et au pastoralisme, s'est particulièrement développé en Sicile et en Sardaigne. Aristée est le fils d'Apollon et de la nymphe Cyrène. Il acquiert, grâce aux nymphes qui l’élèvent, plusieurs pratiques et techniques agricoles, comme cailler le lait, cultiver les oliviers et - c'est ce qui nous intéresse - élever des abeilles. Mais Aristée s'éprend d'Eurydice, la fiancée d'Orphée : alors qu'il la poursuit de ses assiduités, la belle nymphe s'enfuit et se fait mordre par un serpent. Pour venger sa mort, les autres nymphes tuent toutes les abeilles d'Aristée. Désespéré, celui-ci se tourne vers sa mère. Elle lui suggère de se rendre chez le Roi des eaux, Protée, qui lui conseille de procéder à plusieurs sacrifices, afin d'apaiser les mânes d'Eurydice. Aristée s'exécute et immole quatre taureaux et quatre génisses : de leurs cadavres surgissent des nuées d'abeilles, avec lesquelles il reconstitue ses ruches. Parmi les statues qui le représentent, plusieurs d'entre elles le montrent le corps recouvert d'abeilles.

Aristée, premier apiculteur de la mythologie.

                                        A Rome, l'apiculture est une activité importante, comme en témoignent les nombreux ouvrages et traités qui lui sont consacrés : Pline l'Ancien, Varron, Columelle, Caton ou les poètes Virgile et Ovide sont les principaux auteurs ayant abordé le sujet. Les travaux de Columelle étaient d'ailleurs si complets et si détaillés qu'ils ont longtemps fait référence, même après le moyen-âge. Les mots employés sont divers : alvarius (le rucher, chez Columelle), alvus (chez Columelle encore ou chez Pline), alveus, alvearia (chez Virgile), alveare, alvearis, apium, alvorum, mellarium, ou encore apiarium. 


Columelle.

                                        Pratiquée probablement dès les origines de la cité, l'apiculture romaine se développe plus largement sous la république et au cours de l'expansion territoriale, et elle atteint son apogée sous l'Empire, à la faveur de la pax romana. La demande en miel et en cire est alors telle que Rome en importe de Sardaigne, de Corse, de Grèce ou d'Espagne, et certains territoires vaincus payent même leur tribut en miel ou en cire ! Les invasions barbares, en provoquant la désorganisation des structures et en ravageant les terres, sonneront le glas de l'apiculture - d'autant plus que les Romains ont alors autre chose à faire que s'occuper de leurs abeilles. (Sauver leur peau, par exemple.)

                                        Dans la péninsule italienne, l'apiculture est pratiquée à grande échelle : on considère qu'il s'agit d'un secteur d'activité scientifique et spécialisé. Les Romains sont passés maîtres dans l'art de l'apiculture, en dépit de certaines idées erronées. On pense par exemple que la Reine est un Roi, ou encore que les abeilles proviennent des cadavres du bétail. Ce qui, bien sûr, ne peut manquer de nous renvoyer au mythe d'Aristée... On croit que le miel est d'origine céleste, en fonction des conjonctions et du lever et coucher des constellations (Sirius ou les Pléiades, généralement), mais paradoxalement, on pense en même temps que le miel est distillé par la rosée - comme le rapportent Celse, Virgile, Pline et Tibulle .
"Ces rois sont un peu plus gros et plus longs que les autres abeilles, leurs jambes sont plus droites, mais leurs ailes sont moins amples; ils sont d'une belle couleur, propres, sveltes, sans poils, sans aiguillon, à moins que par hasard on ne prenne pour un dard une espèce de gros cheveu qu'ils portent à leur ventre, et dont toutefois ils ne se servent pas pour nuire. On trouve aussi quelques rois qui sont bruns et velus; mais leur extérieur doit être pour vous l'indice d'un mauvais caractère." (Columelle, "De L'Agriculture", IX-10.)

GUIDE PRATIQUE D'APICULTURE ROMAINE...


Ruche en osier. (Ier siècle, Allemagne - copie.)
                                        Il est à signaler que, selon la loi romaine, les abeilles appartiennent à celui qui les a placées dans les ruches, et non au propriétaire du terrain sur lequel celles-ci sont installées. Si certains, comme Virgile, s'occupent eux-mêmes de leurs abeilles, la tâche incombe le plus souvent à un esclave ou un ouvrier spécialisé, l'apiarius, responsable de l'apiculture pour le compte de son maître ou patron. Il habite alors généralement dans une petite maison située juste à côté des ruches, qu'il peut ainsi surveiller à tout moment. C'est en tous cas ce que conseille Columelle qui, nous l'avons vu, en connaît - attention, jeu de mots ! - un rayon sur le sujet.
"Toutefois s'il n'est pas possible de trouver une meilleure position, il faudra bien, pourvu qu'il n'y ait pas de plus graves inconvénients, s'en contenter, parce qu'il importe surtout que le rucher soit sous l’œil du maître. Si pourtant tout s'oppose à ce que cette dernière disposition puisse être observée, il faut au moins établir les ruchers dans une vallée voisine, où sans fatigue le propriétaire puisse descendre fréquemment: comme l'entretien des abeilles demande une très grande fidélité, et que cette qualité est infiniment rare, l'intervention du maître fera qu'elles seront moins négligées. Si les abeilles souffrent beaucoup de l'improbité du gardien, la malpropreté qui résulte de sa négligence ne leur est pas moins nuisible : on doit, en effet, détester autant la saleté que la fraude." (Columelle, "De L'Agriculture", IX-5.)

Ruches en céramique - Espagne.
Les textes nous décrivent les ruches avec précision : à cet égard, ceux de Pline sont extrêmement précieux. Les ruches sont soit rectangulaires, soit cylindriques, et elles mesurent environ 90 cm de longueur. Elles sont fabriquées à partir d'écorce de chêne-liège et de tiges de fenouil ou d'osier, et enduites de bouse de vache et, parfois, couvertes de morceaux de bois. Varron cite aussi des ruches faites de troncs d’arbres creusés ou de poteries. Ces dernières sont critiquées par Varron, Columelle et Palladius, qui les jugent trop chaudes l'été et trop froides l'hiver. Certains auteurs évoquent aussi des ruches placées dans des briques. Enfin selon Pline, il existe aussi des ruches d'observation, faites en pierres spéculaires (nom donné à diverses pierres transparentes comme le gypse ou les micas), permettant d'étudier le travail des abeilles.


Pierre spéculaire.

                                        Varron explique que les ruches doivent être placées en rang le long d'un mur, être percées de petits trous pour permettre le passage des abeilles et munies d'un couvercle pour récolter le miel plus facilement. Columelle évoque des ruches installées dans des emplacements taillés dans la roche, sous des galeries couvertes ou au cœur des vergers. Il précise que le rucher peut être entouré de murs de brique ou autres ouvrages de maçonnerie, afin d'empêcher les lézards, serpents et autres nuisibles d'y pénétrer. Pour protéger les abeilles du froid ou de la pluie, il recommande de couvrir les ruches de branchages enduits de mortier carthaginois (aucune idée de ce que c'est ! N'hésitez pas à me contacter si vous le savez.), ou encore de chaume et de feuilles.

                                        La localisation a aussi son importance. Virgile préconise d'opter pour un endroit sans vent car il empêche les abeilles de rapporter leur butin à la ruche. Columelle conseille un lieu ensoleillé l'hiver, situé au fond d'une vallée, afin que les abeilles puissent voler vers le haut lorsqu'elles ne sont pas chargées et vers le bas lorsqu'elles regagnent la ruche. Varron souligne quant à lui l'importance de la proximité d'un point d'eau - une rivière ou un réservoir peu profond - et recommande un lieu sans écho, car le bruit effraie les abeilles.

Rucher antique à Malte.

                                        Varron toujours cite plusieurs plantes à cultiver afin d'obtenir le meilleur miel. Les Romains sont particulièrement friands de miel de thym, mais l'auteur mentionne aussi la rose, la mélisse, le serpolet, le pavot, les fèves, les lentilles, les pois, la dragée, le sainfoin, l'amandier. Virgile ajoute à cette liste  la sarriette, la violette, le laurier-tin , l'arbousier, le safran , le tilleul, la jacinthe; et Columelle l'origan, la sarriette , le romarin, l'acanthe, le lys, le narcisse, la giroflée, la violette, le pin, le chêne vert, le jujubier, la marjolaine, le poirier, le pêcher et la plupart des arbres fruitiers,  le chêne rouvre, la térébinthe et le cèdre. Il déconseille formellement le tilleul et l'if, et le miel sauvage de bruyère. Mais cette liste laisse quand même un large choix.

                                        Varron, entre autres conseils, explique qu'il faut veiller à inspecter et nettoyer les ruches régulièrement. Il préconise trois visites mensuelles, au cours desquelles il faut procéder à la fumigation et au nettoyage des ruches, et contrôler le nombre de "rois" qui s'y trouvent. Il faut aussi éviter que les abeilles ne se nourrissent pas du miel qu'elles produisent et, pour se faire, il convient de disposer des préparations à leur intention : des sortes de gâteaux sucrés, du sirop ou de l'eau miellée (on pose alors en surface un morceau de laine qui s'imbibera et évitera aux abeilles de se noyer), des raisins secs, des noix pilées, des roses séchées, du thym, de la centaurée. Pour soigner les abeilles malades, Columelle mentionne plusieurs recettes comme des pépins de grenade écrasés au vin, du romarin miellé, et même de l'urine de bœuf ou d'homme.

"En hiver on couvrira les ruches avec de la paille; on fera de fréquentes fumigations, surtout avec la fumée de fiente de bœuf. Elle leur est bonne, tue les insectes qui se développent, les araignées, les papillons, les vers, et même excite les abeilles. Il est facile de les débarrasser des araignées, mais le papillon est un ennemi plus dangereux : pour le détruire, on choisit au printemps, quand la mauve mûrit, une nuit sans lune, par un ciel serein, et on allume des flambeaux devant la ruche : les papillons se jettent dans la flamme." (Pline l'Ancien, "Histoire Naturelle", XXI - 47.)


"Aristaeus Inventor Mellis" (Dessin de Hyerominus Cock - ©British Museum.)

                                        Les Romains récoltent le miel plusieurs fois par an (3 fois pour Varron et Pline, 2 pour Virgile par exemple), au printemps, à la fin de l'été et début Novembre. Columelle prévient alors qu'il faut "s'abstenir la veille de tout acte vénérien, de ne pas approcher de la ruche étant ivre et sans s'être lavé, et rejeter presque tous les aliments à odeur forte, tels que les salaisons et les jus qui en proviennent, et de ne pas exhaler l'odeur âcre et fétide de l'ail, des oignons et des autres substances de ce genre." (Columelle, "De L'agriculture", IX - 14.) On enfume les ruches, par la combustion de la bouse de vache - ce qui ne manque pas d'exciter les abeilles, sur lesquelles ont jette alors de la poussière ou de l'eau de miel - puis on enlève les rayons et on taille au couteau les gâteaux de miel. Pour extraire le miel, Columelle conseille de suspendre un panier de saule ou d'osier dans un lieu obscur et d'y placer les rayons brisés : le miel coule alors dans un vase en terre cuite, où il est conservé quelques jours avant d'être écumé à l'aide d'une cuillère. Les divers auteurs recommandent de laisser une partie de la récolte dans la ruche (1/10 pour Varron, 1/5 pour Columelle par exemple), ce qui permet selon eux d'accroître le rendement des abeilles.

DE L'USAGE DU MIEL...


                                       Pourquoi un tel engouement pour l'apiculture, et pourquoi a-t-elle suscité tant de littérature ? Les Romains, avatars de Winnie l'Ourson antiques, adorent le miel, qui remplace tout simplement notre sucre.
 “Les abeilles vont pâturer au dehors ; mais c’est dans l’intérieur de la ruche que s’élabore ce doux produit si agréable aux dieux et aux hommes. Le miel trouve place sur les autels aussi bien que sur nos tables, tant au début d’un repas qu’au second service.” (Varron, "Économie Rurale", III-16.)
                                        Sur le plan culinaire, la gastronomie romaine regorge de plats sucrés-salés. Le miel est donc un ingrédient-clé dans de nombreuses sauces et vinaigrettes. Pour assaisonner les légumes par exemples on prépare l'Oxymel, un mélange de miel, vinaigre, sel et eau. On retrouve aussi le miel dans de nombreuses boissons, comme le Muslum, un vin sucré servi en début et fin de repas.

Page de garde de "De Re Coquinaria" de 1709.

                                        Le miel sert aussi à concocter des bonbons (Dulcia) et divers desserts. Le célèbre Apicius mentionne ainsi dans son ouvrage "De Re Coquinaria", des gâteaux au miel, des pains ou des gâteaux de vin sur lequel on verse du miel, une crème aux œufs au miel, ou encore diverses friandises comme des dattes farcies frites dans du miel. L'Empereur Tibère lui-même avait découvert, lors de son séjour à Rhodes, un délice local préparé à base de fromages de chèvre frais aux pignons, cuits dans du miel... Le miel était aussi un agent de conservation pour les fruits, les légumes ou la viande.

                                        Enfin, il existait d'autres préparations à base de miel, comme l'hydromel et l'aqua mulsa, un miel d'eau, que l'on utilisait comme médicaments. L'oxymel, dont j'ai déjà parlé, était aussi un remède contre les maux de gorge et d'oreille.

... ET DES AUTRES PRODUITS DE LA RUCHE.


                                        Mais les abeilles ne produisent pas uniquement du miel, et il existe de nombreux sous-produits, plus ou moins bien connus dans l'antiquité. La propolis, par exemple, plonge les auteurs antiques dans une certaine confusion : Virgile l'assimile à la cire - ce en quoi il n'a pas totalement tort, puisque la propolis contient à peu près 30 % de cire - mais y voit une sorte de sève (il parle des "larmes du narcisse") dont les abeilles se serviraient pour construire leur nid. Pline va dans ce sens et utilise le mot melliginem pour désigner la propolis, une gomme végétale à laquelle les abeilles ajoutent du suc des fleurs. Varron pense quant à lui que certaines fleurs fournissent le miel, et d'autres la cire ou la propolis.

                                        Même chose pour le miellat, qui laisse pantois Varron, Columelle et compagnie : il s'agit pour eux d'une  matière à mi-chemin entre la propolis et la cire.  On y voit généralement de la nourriture que les abeilles stockent dans les rayons de la ruche.

                                        Nos amis sont beaucoup plus familiers de la cire, largement employée à Rome. Pour la récolter, on nettoie les gâteaux de cire à l'eau douce, puis on les jette dans un récipient de bronze avec de l'eau afin qu'ils fondent. On verse ensuite la cire chaude sur de la paille et on la chauffe à nouveau, puis on la transvase dans des moules.

                                        La cire a de nombreuses utilisations. Elle sert entre autres choses de médicament : Pline décrit la cire blanche, cuite dans de l'eau bouillante salée et avalée en bouillon par les malades atteints de dysenterie. Ce mélange sert aussi à adoucir la peau.

Tablettes en cire et stylet.

                                        On l'utilise comme support d'écriture, un stylet pointu en ivoire, os ou métal permettant d'inscrire des lettres dans des tablettes de cire chaude, contenue dans des cadres en bois. L'autre extrémité du stylet se présente sous la forme d'une spatule, qui permet d'aplanir la cire pour effacer les erreurs éventuelles. Il suffit ensuite de verser une nouvelle couche de cire pour que les tablettes, comme neuves, soient réutilisables.

                                        Mais la cire a bien d'autres usages : on y moule des statues et des bijoux car elle est plus malléable et permet une grande précision dans la réalisation des œuvres. On la recouvre ensuite d'un moule en argile pour réaliser l’œuvre. Elle sert aussi pour les masques mortuaires de certaines grandes familles romaines. C'est encore un imperméabilisant pour les murs peints, une colle, et on l'emploie enfin dans certaines pratiques magiques - Ovide nous dit qu'il est possible d'atteindre quelqu'un en infligeant des blessures à des figurines de cire à son effigie.

AUTRES UTILISATIONS, EUH, ORIGINALES DES ABEILLES.. .


                                        Dans le même registre, les abeilles peuvent aussi se révéler une arme redoutable, à plus grande échelle... Et le mot "arme" n'est pas choisi au hasard ! Au cours du Ier siècle avant J.C., l'Histoire a ainsi retenu les malheurs de Pompée, en guerre contre les Heptakomètes en Asie Mineure. Un bon millier de légionnaires passent alors par un col étroit, où ils découvrent des ruches remplies de miel : joie des soldats, habitués à améliorer leur pitance quotidienne au gré des sacs et des pillages. Ils se jettent avidement sur leur butin et se gavent de miel à s'en faire exploser la panse... et sont rapidement frappés de crises de délire, de crises de diarrhée et de violents vomissements ! Dans de telles conditions, ils sont facilement massacrés par les Heptakomètes - qui avaient pris soin de laisser ce miel sur le chemin des Romains, car ils savaient pertinemment que le miel produit au cours de certaines périodes de l'année, à partir de plantes contenant des alcaloïdes inoffensifs pour les abeilles mais toxiques pour les humains, ne manquerait pas de provoquer les troubles que l'on a vus ! Futés, les Heptakomètes !

                                        Les Romains, avec la capacité d'imitation et d'innovation qu'on leur connaît, avaient appris à utiliser les abeilles dans les guerres qu'ils menaient, mais de façon nettement moins fourbe : au lieu d'employer le subterfuge du miel empoisonné (vachement astucieux, quand même !), ils envoyaient des ruches en les catapultant dans les rangs ou derrière les fortifications de leurs ennemis. La fureur des abeilles, déchaînées quand leurs ruches se brisaient, pouvait se révéler décisive pour le dénouement de la bataille... Enfin, autre utilisation non conventionnelle des ruches : Virgile, dit-on, protégeait ses objets de valeur des pillages des soldats en les planquant dans sa ruche ! Mais il faut dire que le poète, à l'instar de ses confrères Martial, Tibulle ou Ovide, a toujours goûté la métaphore mellifère, allant même jusqu'à composer une ode superbe dédiée aux abeilles et à leur savoureux produit :
"Enfin je vais chanter le peuple industrieux
Qui recueille le miel, ce doux présent des cieux.
Mécène, daigne encor sourire à mes abeilles.
Dans ces petits objets que de grandes merveilles !
Viens ; je vais célébrer leur police, leurs lois,
Et les travaux du peuple, et la valeur des rois ;
Et si le Dieu des vers veut me servir de maître,
Moins le sujet est grand, plus ma gloire va l’être." (Virgile, "Les Géorgiques", IV.)

Texte magnifique, à retrouver en intégralité ici.

"Les Géorgiques" de Virgile, poème des abeilles illustré par Vergilius Vaticanus.




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