mercredi 26 mars 2014

François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David.

                                        Ce Dimanche 23 Mars, j'ai eu l'occasion de visiter avec l'association Carpefeuch l'exposition que le musée Fabre de Montpellier consacre en ce moment à François-André Vincent. Intitulée "François-André Vincent, un artiste entre Fragonard et David", cette rétrospective met à l'honneur un peintre méconnu, pourtant l'un des chefs de file du néoclassicisme et considéré à l'époque comme l'égal d'un David, justement. C'est plus précisément la prédilection du peintre pour les sujets antiques qui nous a conduits au musée Fabre, et en compagnie de notre guide Fiorana, nous avons découvert son œuvre au travers d'un parcours chronologique présentant tableaux, dessins et esquisses préparatoires qui mettent en exergue le talent d'un artiste capable d'assimiler diverses influences, au service d'une peinture ancrée dans le néoclassicisme mais qui annonce pourtant le courant romantique.

François-André Vincent, peint par son épouse Adélaïde Labille-Guiard en 1795. (Via wikipedia.)


Les débuts en France et en Italie.


                                        Né à Paris en 1746, François-André Vincent reçoit ses premières leçons d'un père miniaturiste, dont il garde sans doute le goût du détail et de la précision, caractéristique de son œuvre. Il se forme ensuite auprès de Joseph-Marie Vien, peintre montpelliérain qui lui transmet sa passion pour les sujets antiques. C'est d'ailleurs avec un tableau intitulé "Germanicus apaisant la sédition" que Vincent obtient le Grand Prix de Rome en 1771 : les légions commandées par Germanicus, fils adoptif de l'Empereur Tibère, le pressèrent de destituer l'Empereur, mais il refusa et mata la rébellion. On le voit ici, intervenant auprès de ses soldats qui lui demandent de leur pardonner.  


"Germanicus apaisant la sédition." (©VladoubidoOo via wikipedia.)

                                        Ce tableau lui ouvre les portes de l’Académie de France à Rome. Il y séjourne jusqu'en 1775 et s'y lie d'amitié avec Fragonard et rencontre Bergeret de Grancourt, riche mécène qui lui commandera plusieurs tableaux. Issu d’une famille protestante, sa religion lui permet en outre de se lier avec des artistes du nord de l’Europe, dont le rapport à la lumière affecte son travail. Lors d'un séjour à Naples, il visite également Herculanum et Pompéi, qui viennent alors juste d'être découvertes, et ces voyages lui serviront de base de travail lorsqu'il réalisera des tableaux à thème antique.

                                        Les œuvres de jeunesse laissent déjà entrevoir plusieurs éléments caractéristiques du style de Vincent : la grande précision accordée aux détails contraste avec des coups de pinceau plus rapides et nerveux dans le style de Fragonard ; les couleurs sont fortes et les blancs lumineux;  l'artiste appose de grands empâtements de peinture; il privilégie souvent une composition centrée sur un personnage statique dans une pose particulière, autour duquel les autres protagonistes en mouvement engendrent la dynamique du tableau. Les œuvres présentées dans cette salle illustrent aussi son talent de portraitiste. Qu'il s'agisse de Bergeret de Grancourt ou de sa chienne (!), de l'auto-portrait de l'artiste dans le plus pur style de Fragonard, ou du magnifique triple portrait où Vincent se représente en compagnie de l'architecte Rousseau et du peintre Van Wyck, chacun de ces tableaux étonne par le sens de la composition, originale et pertinente, et par l'étonnante expressivité des visages.



"Triple portrait de l'artiste..." (RMN - Grand Palais - ©Daniel Arnaudet - Service presse / MBA Tours.)

                                        On retrouve ces mêmes qualités dans les nombreux dessins réalisés par Vincent, qui montrent bien qu'il ne s'agit pas uniquement pour lui d'un simple travail préparatoire : la variété des techniques employées, la finition et le soin apportés à chaque esquisse, la signature systématique dénotent l'importance que le dessin revêt aux yeux de l'artiste. En parallèle, il réalise toute une série de caricatures, prenant pour cibles ses amis, et qui évoquent fortement Daumier.


Les succès parisiens.


                                        A Paris, Vincent présente deux tableaux lors du Salon de 1777 : "Alcibiade recevant les leçons de Socrate" et "Bélisaire, réduit à la mendicité, secouru par un officier des troupes de Justinien". Deux toiles d'inspiration antique où l'on observe à nouveau le soin apporté aux détails, la vivacité des couleurs, mais aussi la subtilité des textures - cuirasses, barbes, étoffes, etc. Les compositions, similaires,  se présentent comme des plans rapprochés, au plus près des personnages. Les deux toiles montrent aussi la manière dont le peintre met en scène des sujets antiques, qu'il est l'un des premiers à représenter. Avec pour ambition de s'approcher au plus près de la vérité, il puise dans la statuaire antique - se basant par exemple pour son Socrate d'un buste vu à Rome, ou utilisant le contrapposto typique de la sculpture antique. 

"Alcibiade recevant les leçons..." (Musée Fabre de Montpellier  - © Frédéric Jaulmes - Service presse / MBA tours.)


                                        Par ailleurs, l'une de ses œuvres, "Saint Jérôme entendant la trompette du Jugement dernier", lui vaut d'être agréé à l'Académie. Étrangement, cette toile est beaucoup plus classique, empruntant presque au baroque. Ces succès permettent à Vincent de recevoir des commandes, et il réalise notamment des toiles inspirées de l'histoire nationale - comme "Le Président Molé saisi par les factieux du temps des guerres de la Fronde", qui lui vaut un vif succès au Salon de 1779. La posture du personnage représenté de dos est quasiment identique à celle du gladiateur Borghèse - attitude que reprendra Vincent dans une autre toile, "La leçon d'agriculture".

"Le président Molé et les factieux..." (Dépôt du musée du Louvre - C2RMF - ©Thomas Clot - Service presse / MBA Tours.)






Le gladiateur Borghèse.


 
                                        Il ne délaisse d'ailleurs pas pour autant l'Antiquité puisqu'il peint le "Combat des Romains contre les Sabins" en 1781 - soit bien avant que David n'en présente sa propre version, reprenant au centre de sa composition l'image de la Sabine séparant son frère et son mari. On peut encore citer "L'enlèvement d'Orythie" que Vincent présente en 1783 et qui lui permet d'être reçu à l'Académie royale, et le "Zeuxis et les filles de Crotone" dont le musée expose les dessins préparatoires - ouvrant une fenêtre sur la façon dont Vincent pense ses toiles et dont il en construit toute la structure.

"Le Combat des Romains contre les Sabins..." (©Musées d'Angers.)

La Révolution.


                                        Pendant la révolution, les commandes se faisant rares, la plupart des peintres répondent à celles de la bourgeoisie, qui se substituent à celles de l'aristocratie. Vincent est moins prolifique, mais il exécute plusieurs portraits, assez proches de la peinture de son grand rival David auquel il emprunte la clarté du fond, mais toujours avec plus de détails. Il peint également un "Guillaume Tell", ses origines suisses l'incitant à représenter ce héros de l'indépendance helvète, exaltation de la liberté et du patriotisme parfaitement en phase avec l'époque.

                                        Il peint aussi "La leçon d'agriculture", à la fois allégorie et tableau naturaliste dans l'esprit de la philosophie rousseauiste. On retrouve une fois de plus certaines références italiennes -  le bras de l’agriculteur imitant celui du Dieu de la chapelle Sixtine, ou la posture du gladiateur Borghèse déjà cité plus haut.

"La leçon d'agriculture." (© Musée des Beaux-Arts, Bordeaux - © Lysiane Gauthier - Service presse / MBA Tours.)


Le Consulat et l’Empire.


                                        Affaibli par la maladie et frappé par des deuils successifs, François-André Vincent produit moins de toiles lors des dernières années de sa vie. L'entourage de Napoléon lui confie toutefois plusieurs commandes officielles, à commencer par une immense "Bataille des Pyramides" de 9m sur 4, qu'il n'achèvera pas (le tableau sera repris par un élève de David) mais dont il nous reste des esquisses préparatoires dynamiques et furieuses, dans un style déjà pré-romantique qui ouvre la voix à un Delacroix. Sa dernière œuvre, commande de Jérôme Bonaparte, surprend encore - cette "Allégorie sur la libération des esclaves d'Alger" mêlant peinture historique et symboles dans une toile de facture classique.

                                        Au cours des dernières années de sa vie, Vincent expose notamment deux tableaux qui, par la réalisation et le thème abordé, annoncent déjà la sensibilité romantique. Ainsi le portait d'Antoine-Vincent Arnault, poète représenté sur fond de paysage, le regard perdu vers l'horizon et les cheveux aux vents, et posant dans une attitude caractéristique des toiles romantiques. L'autre toile, "Mélancolie", est un chef-d’œuvre de sensibilité : le culte de la mort, si cher aux Romantiques, dénote en outre l'état d'esprit d'un homme malade et en deuil. Ce tableau sera sa dernière œuvre exposée : François-André Vincent meurt à Paris en 1816.  


                                        A sa mort, ses toiles sont vendues et dispersées, par exemple dans des collections privées. Ajouté au fait que la signature sur les tableaux a souvent été grattée, ceci explique en partie pourquoi l’œuvre de Vincent est si méconnue. Mais surtout, ces peintures ont longtemps été attribuées à d'autres artistes majeurs, et non des moindres : Fragonard, David, Boucher, voire Géricault. La "faute" en incombe en grande partie à Vincent lui-même, artiste protéiforme qui empruntait à plusieurs styles et ne cessait de se renouveler et de varier les sources d'inspiration, adaptant sa peinture au sujet traité. Incohérent en apparence, son parcours suit néanmoins une trajectoire qui le conduit d'une peinture très classique et traditionnelle, proche d'un Fragonard ou des peintres du Grand Siècle, à un art plus fougueux et sentimental, précurseur du Romantisme. Avant d'annoncer ce courant artistique, Vincent fut aussi l'un des premiers à traiter de sujets empruntés à l’Antiquité ou à l’Histoire de France, et il fait figure d'initiateur du mouvement néoclassique.



"Bélisaire réduit à la mendicité..." (Musée Fabre de Montpellier Agglo.- ©Frédéric Jaulmes - Service presse / MBA Tours.)

                                        Paradoxalement, cette grande variété et cette non-appartenance exclusive à un courant ou à un style expliquent sans doute que Vincent ait été négligé: insaisissable, ce caméléon échappe aux classifications et sa versatilité rend son œuvre difficile à appréhender dans son ensemble. Il faut ajouter que Vincent était en rivalité permanente avec David - serait-il son Salieri ? - et que les Delacroix ou les Géricault qui lui succèderont seront considérés comme d'authentiques génies. C'est peut-être finalement la conclusion que l'on peut tirer de cette exposition: comme le résumait l'une de mes camarades de Carpefeuch, "Vincent avait du talent, mais pas de génie". Encore que, après réflexion, je me permettrai de relativiser ce jugement. Si le génie de Vincent ne réside pas dans la technique et dans l'exécution, peut-être faut-il le chercher ailleurs, c'est-à-dire dans la manière dont il anticipe les évolutions artistiques, tout en restant dans un cadre institutionnel et traditionnel, conciliant ainsi classicisme et avant-garde. Ce qui n'est pas un moindre mérite.




François-André Vincent (1746-1816), un artiste entre Fragonard et David.
Jusqu'au 11 mai 2014.

Musée Fabre
39 Boulevard Bonne Nouvelle
34000 Montpellier.
Tél : 04 67 14 83 00
Lien ici.

Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10h à 18h.

Tarif : 8€ (tarif réduit : 6€).
L’achat d’un billet pour l'exposition temporaire donne également accès aux collections permanentes et à l’Hôtel de Cabrières-Sabatier d’Espeyran.

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